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THÉATRE ORIENTAL ET THÉATRE OCCIDENTAL

si l’on avait voulu couper les formes de l’art, trancher leurs liens d’avec toutes les attitudes mystiques qu’elles peuvent prendre en se confrontant avec l’absolu.

On comprend donc que le théâtre dans la mesure même où il demeure enfermé dans son langage, où il reste en corrélation avec lui, doit rompre avec l’actualité, que son objet n’est pas de résoudre des conflits sociaux ou psychologiques, de servir de champ de bataille à des passions morales mais d’exprimer objectivement des vérités secrètes, de faire venir au jour par des gestes actifs cette part de vérité enfouie sous les formes dans leurs rencontres avec le Devenir.

Faire cela, lier le théâtre aux possibilités de l’expression par les formes, et par tout ce qui est gestes, bruits, couleurs, plastique, etc., c’est le rendre à sa destination primitive, c’est le replacer dans son aspect religieux et métaphysique, c’est le réconcilier avec l’univers.

Mais les mots dira-t-on ont des facultés métaphysiques, il n’est pas interdit de concevoir la parole comme le geste sur le plan universel, et c’est sur ce plan d’ailleurs qu’elle acquiert son efficacité majeure, comme une force de dissociation des apparences matérielles, de tous les états dans lesquels s’est stabilisé et aurait tendance à se reposer l’esprit. Il est facile de répondre que cette façon métaphysique de considérer la parole n’est pas celle dans laquelle l’emploie le théâtre occidental, qu’il l’emploie non comme une force active et qui part de la destruction des apparences pour remonter jusqu’à l’esprit, mais au contraire comme un degré achevé de la pensée qui se perd en s’extériorisant.

La parole dans le théâtre occidental ne sert jamais qu’à exprimer des conflits psychologiques particuliers à l’homme et à sa situation dans l’actualité quotidienne de la vie. Ses conflits sont nettement justiciables de la parole articulée, et qu’ils restent dans le domaine psychologique ou qu’ils en sortent pour rentrer dans le