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SUR LE THÉATRE BALINAIS

comme au naturel les affres d’une âme en proie aux phantasmes de l’Au-delà.

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Ils dansent et ces métaphysiciens du désordre naturel qui nous restituent chaque atome du son, chaque perception fragmentaire comme prête à retourner à son principe, ont su créer entre le mouvement et le bruit des jointures si parfaites que ces bruits de bois creux, de caisses sonores, d’instruments vides, il semble que ce soient des danseurs aux coudes vides qui les exécutent avec leurs membres de bois creux.

Nous sommes ici et soudainement en pleine lutte métaphysique, et le côté durcifié du corps en transes, raidi par le reflux des forces cosmiques qui l’assiègent, est admirablement traduit par cette danse frénétique, et en même temps pleine de raideurs et d’angles où l’on sent tout à coup que commence la chute à pic de l’esprit.

On dirait des vagues de matières recourbant avec précipitation leurs crêtes l’une sur l’autre, et accourant de tous les côtés de l’horizon pour s’insérer dans une portion infime de frémissement, de transe, — et recouvrir le vide de la peur.

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Il y a un absolu dans ces perspectives construites, une manière de vrai absolu physique que seuls des Orientaux peuvent être capables de rêver, — c’est en cela, c’est dans la hauteur et l’audace réfléchie de leurs buts, que ces conceptions s’opposent à nos conceptions européennes du théâtre, beaucoup plus encore que par la perfection étrange de leurs réalisations.

Les tenants de la répartition et du cloisonnement des genres, peuvent affecter de ne voir que des danseurs dans les magnifiques artistes du théâtre Balinais, danseurs chargés de figurer on ne sait trop quels hauts Mythes dont la hauteur rend le niveau de notre théâtre occidental moderne d’une grossièreté et d’une puérilité