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LE THÉATRE ET SON DOUBLE

dans leurs évolutions. Et il faut noter en même temps l’aspect hiéroglyphique de leurs costumes, dont les lignes horizontales dépassent en tous sens le corps. Ils sont comme de grands insectes pleins de lignes et de segments faits pour les relier à l’on ne sait quelle perspective de la nature dont ils n’apparaissent plus qu’une géométrie détachée.

Ces costumes qui cernent leurs roulements abstraits quand ils marchent, et leurs étranges entre-croisements de pieds !

Chacun de leurs mouvements trace une ligne dans l’espace, achève on ne sait quelle figure rigoureuse, à l’hermétisme très calculé et dans celle-ci un geste imprévu de la main met un point.

Et ces robes aux courbes plus hautes que la fesse et qui les tiennent comme suspendus en l’air, comme piqués sur les fonds du théâtre, et prolongent chacun de leurs sauts comme un vol.

Ces cris d’entrailles, ces yeux roulants, cette abstraction continue, ces bruits de branches, ces bruits de coupe et de roulements de bois, tout cela dans l’espace immense des sons répandus et que plusieurs sources dégorgent, tout cela concourt à faire se lever dans notre esprit, à cristalliser comme une conception nouvelle, et, j’oserai dire, concrète, de l’abstrait.

Et il faut noter que cette abstraction qui part d’un merveilleux édifice scénique pour retourner dans la pensée, quand elle rencontre au vol des impressions du monde de la nature les prend toujours à ce point où elles entament leur rassemblement moléculaire ; c’est-à-dire qu’un geste à peine nous sépare encore du chaos.

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La dernière partie du spectacle est, en face de tout ce qui se triture de sale, de brutal, d’infamant, sur nos scènes européennes, d’un anachronisme adorable. Et je ne sais quel est le théâtre qui oserait clouer ainsi et