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SUR LE THÉATRE BALINAIS

miquement, répondent avec esprit semble-t-il aux tremblements du corps. — Il y a aussi les autres coiffures à l’aspect sacerdotal, en forme de tiares, et surmontées d’aigrettes, de fleurs raides, dont les couleurs s’opposent deux par deux et se marient étrangement.

Cet ensemble lancinant plein de fusées, de fuites, de canaux, de détours dans tous les sens de la perception externe et interne, compose du théâtre une idée souveraine, et telle qu’elle nous paraît conservée à travers les siècles pour nous apprendre ce que le théâtre n’aurait jamais dû cesser d’être. Et cette impression se double du fait que ce spectacle — populaire là-bas, paraît-il, et profane — est comme le pain élémentaire des sensations artistiques de ces gens-là.

La prodigieuse mathématique de ce spectacle mise à part, ce qui me semble fait pour nous surprendre et pour nous étonner le plus, est ce côté révélateur de la matière qui semble tout à coup s’éparpiller en signes pour nous apprendre l’identité métaphysique du concret et de l’abstrait et nous l’apprendre en des gestes faits pour durer. Car le côté réaliste nous le retrouvons chez nous, mais porté ici à la nme puissance, et définitivement stylisé.

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Dans ce théâtre toute création vient de la scène, trouve sa traduction et ses origines même dans une impulsion psychique secrète qui est la Parole d’avant les mots.

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C’est un théâtre qui élimine l’auteur au profit de ce que dans notre jargon occidental du théâtre, nous appellerions le metteur en scène ; mais celui-ci devient une sorte d’ordonnateur magique, un maître de cérémonies sacrées. Et la matière sur laquelle il travaille, les thèmes qu’il fait palpiter ne sont pas de lui mais des dieux. Ils viennent semble-t-il des jonctions primitives de la Nature qu’un Esprit double a favorisées.