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LE THÉATRE ALCHIMIQUE

phiquement un tel drame est impossible, et ce n’est que poétiquement et en arrachant ce qu’ils peuvent avoir de communicatif et de magnétique aux principes de tous les arts, que l’on peut par formes, par sons, musiques et volumes, évoquer, en passant à travers toutes les similitudes naturelles des images et des ressemblances, non pas des directions primordiales de l’esprit, que notre intellectualisme logique et abusif réduirait à n’être que d’inutiles schémas, mais des sortes d’états d’une acuité si intense, d’un tranchant si absolu que l’on sent à travers les tremblements de la musique et de la forme les menaces souterraines d’un chaos aussi décisif que dangereux.

Et ce drame essentiel, on le sent parfaitement, existe, et il est à l’image de quelque chose de plus subtil que la Création elle-même, qu’il faut bien se représenter comme le résultat d’une Volonté une — et sans conflit.

Il faut croire que le drame essentiel, celui qui était à la base de tous les Grands Mystères, épouse le second temps de la Création, celui de la difficulté et du Double, celui de la matière et de l’épaississement de l’idée.

Il semble bien que là où règnent la simplicité et l’ordre, il ne puisse y avoir de théâtre ni de drame, et le vrai théâtre naît, comme la poésie d’ailleurs, mais par d’autres voies, d’une anarchie qui s’organise, après des luttes philosophiques qui sont le côté passionnant de ces primitives unifications.

Or ces conflits que le Cosmos en ébullition nous offre d’une manière philosophiquement altérée et impure, l’alchimie nous les propose dans toute leur intellectualité rigoureuse, puisqu’elle nous permet de réatteindre au sublime, mais avec drame, après un pilonnage minutieux et exacerbé de toute forme insuffisamment affinée, insuffisamment mûre, puisqu’il est dans le principe même de l’alchimie de ne permettre à l’esprit de prendre son élan qu’après être passé par toutes les canalisations,