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LE THÉATRE ET SON DOUBLE

à rien, et cependant inquiétant par nature, capable de réintroduire sur la scène un petit souffle de cette grande peur métaphysique qui est à la base de tout le théâtre ancien.

Les Balinais avec leur dragon inventé, comme tous les Orientaux, n’ont pas perdu le sens de cette peur mystérieuse dont ils savent qu’elle est un des éléments les plus agissants (et d’ailleurs essentiel) du théâtre, quand on le remet à son véritable plan.

C’est que la vraie poésie, qu’on la veuille ou non, est métaphysique et c’est même, dirai-je, sa portée métaphysique, son degré d’efficacité métaphysique qui en fait tout le véritable prix.

Voilà la deuxième ou la troisième fois que je m’adresse ici à la métaphysique. Je parlais tout à l’heure, à propos de la psychologie, d’idées mortes et je sens que beaucoup seront tentés de me dire que s’il y a au monde une idée inhumaine, une idée inefficace et morte et qui ne dit que peu de chose, même à l’esprit, c’est bien celle de la métaphysique.

Cela tient, comme dit René Guénon, « à notre façon purement Occidentale, à notre façon anti-poétique et tronquée de considérer les principes (en dehors de l’état spirituel énergique et massif qui leur correspond) ».

Dans le théâtre Oriental à tendances métaphysiques opposé au théâtre Occidental à tendances psychologiques, tout cet amas compact de gestes, de signes, d’attitudes, de sonorités, qui constitue le langage de la réalisation et de la scène, ce langage qui développe toutes ses conséquences physiques et poétiques sur tous les plans de la conscience et dans tous les sens, entraîne nécessairement la pensée à prendre des attitudes profondes qui sont ce que l’on pourrait appeler de la métaphysique en activité.

Je reprendrai ce point tout à l’heure. Pour l’instant revenons-en au théâtre connu.