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LA MISE EN SCÈNE ET LA MÉTAPHYSIQUE

rait les multiplier à l’infini et pas seulement avec des exemples humoristiques comme ceux dont je viens de me servir.

Théâtralement ces inversions de formes, ces déplacements de significations pourraient devenir l’élément essentiel de cette poésie humoristique et dans l’espace qui est le fait de la mise en scène exclusivement.


Dans un film des Marx Brothers un homme croyant recevoir dans ses bras une femme, reçoit dans ses bras une vache, qui pousse un mugissement. Et par un concours de circonstances sur lequel il serait trop long d’insister, ce mugissement, à ce moment-là, prend une dignité intellectuelle égale à celle de n’importe quel cri de femme.

Une telle situation qui est possible au cinéma n’est pas moins possible au théâtre telle quelle : il suffirait de peu de chose, et par exemple de remplacer la vache par un mannequin animé, une sorte de monstre doué de la parole, ou d’homme déguisé en animal, pour retrouver le secret d’une poésie objective à base d’humour, à laquelle a renoncé le théâtre, qu’il a abandonnée au Music-hall et dont le Cinéma ensuite a tiré parti.

J’ai parlé tout à l’heure de danger. Or ce qui me paraît devoir le mieux réaliser à la scène cette idée de danger est l’imprévu objectif, l’imprévu non dans les situations mais dans les choses, le passage intempestif, brusque, d’une image pensée à une image vraie ; et par exemple qu’un homme qui blasphème voie se matérialiser brusquement devant lui en traits réels l’image de son blasphème (à condition toutefois, ajouterai-je, que cette image ne soit pas entièrement gratuite, qu’elle donne naissance à son tour à d’autres images de la même veine spirituelle, etc.).

Un autre exemple serait l’apparition d’un Être inventé, fait de bois et d’étoffe, créé de toutes pièces, ne répondant