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LA MISE EN SCÈNE ET LA MÉTAPHYSIQUE

c’est-à-dire tout ce qu’il y a en lui de spécifiquement théâtral au texte, est un théâtre d’idiot, de fou, d’inverti, de grammairien, d’épicier, d’anti-poète et de positiviste, c’est-à-dire d’Occidental.

Je sais bien d’ailleurs que le langage des gestes et attitudes, que la danse, que la musique sont moins capables d’élucider un caractère, de raconter les pensées humaines d’un personnage, d’exposer des états de conscience clairs et précis que le langage verbal, mais qui a dit que le théâtre était fait pour élucider un caractère, pour la solution de conflits d’ordre humain et passionnel, d’ordre actuel et psychologique comme notre théâtre contemporain en est rempli ?

Étant donné le théâtre tel que nous le voyons ici on dirait qu’il ne s’agit plus dans la vie que de savoir si nous baiserons bien, si nous ferons la guerre ou si nous serons assez lâches pour faire la paix, comment nous nous accommodons de nos petites angoisses morales, et si nous prendrons conscience de nos « complexes » (ceci dit en langage savant) ou bien si nos « complexes » nous étoufferont. Il est rare d’ailleurs que le débat s’élève jusqu’au plan social et que le procès de notre système social et moral soit entrepris, Notre théâtre ne va jamais jusqu’à se demander si ce système social et moral ne serait par hasard pas inique.

Or je dis que l’état social actuel est inique et bon à détruire. Si c’est le fait du théâtre de s’en préoccuper, c’est encore plus celui de la mitraille. Notre théâtre n’est même pas capable de poser la question de la façon brûlante et efficace qu’il faudrait, mais la poserait-il qu’il sortirait encore de son objet qui est pour moi plus hautain et plus secret.

Toutes les préoccupations plus haut énumérées puent l’homme invraisemblablement, l’homme provisoire et matériel, je dirai même l’homme-charogne. Ces préoccupations en ce qui me concerne me dégoûtent, me