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LA MISE EN SCÈNE ET LA MÉTAPHYSIQUE

au lieu de servir de décor, d’accompagnement à une pensée, la fait évoluer, la dirige, la détruit, ou la change définitivement, etc.

Une forme de cette poésie dans l’espace, — en dehors de celle qui peut être créée par des combinaisons de lignes, de formes, de couleurs, d’objets à l’état brut, comme on en trouve dans tous les arts, — appartient au langage par signes. Et on me laissera parler un instant, j’espère, de cet autre aspect du langage théâtral pur, qui échappe à la parole, de ce langage par signes, par gestes et attitudes ayant une valeur idéographique tels qu’ils existent dans certaines pantomimes non perverties.

Par « pantomime non pervertie » j’entends la Pantomime directe où les gestes au lieu de représenter des mots, des corps de phrases, comme dans notre Pantomime européenne vieille de cinquante ans seulement, et qui n’est qu’une déformation des parties muettes de la comédie italienne, représentent des idées, des attitudes de l’esprit, des aspects de la nature, et cela d’une manière effective, concrète, c’est-à-dire en évoquant toujours des objets ou détails naturels, comme ce langage oriental qui représente la nuit par un arbre sur lequel un oiseau qui a déjà fermé un œil commence à fermer l’autre. Et une autre idée abstraite ou attitude d’esprit pourrait être représentée par quelques-uns des innombrables symboles de l’Écriture, ex. : le trou d’aiguille à travers lequel le chameau est incapable de passer.

On voit que ces signes constituent de véritables hiéroglyphes, où l’homme, dans la mesure où il contribue à les former, n’est qu’une forme comme une autre, à laquelle, du fait de sa nature double, il ajoute pourtant un prestige singulier.

Ce langage qui évoque à l’esprit des images d’une poésie naturelle (ou spirituelle) intense donne bien l’idée de ce que pourrait être au théâtre une poésie dans l’espace indépendante du langage articulé.