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LA MISE EN SCÈNE ET LA MÉTAPHYSIQUE

toire littéraire une place au théâtre considéré comme une branche accessoire de l’histoire du langage articulé.

Je dis que la scène est un lieu physique et concret qui demande qu’on le remplisse, et qu’on lui fasse parler son langage concret.

Je dis que ce langage concret, destiné aux sens et indépendant de la parole, doit satisfaire d’abord les sens, qu’il y a une poésie pour les sens comme il y en a une pour le langage, et que ce langage physique et concret auquel je fais allusion n’est vraiment théâtral que dans la mesure où les pensées qu’il exprime échappent au langage articulé.

On me demandera quelles sont ces pensées que la parole ne peut exprimer et qui pourraient beaucoup mieux que par la parole trouver leur expression idéale dans le langage concret et physique du plateau ?

Je répondrai à cette question un peu plus tard.

Le plus urgent me paraît être de déterminer en quoi consiste ce langage physique, ce langage matériel et solide par lequel le théâtre peut se différencier de la parole ?

Il consiste dans tout ce qui occupe la scène, dans tout ce qui peut se manifester et s’exprimer matériellement sur une scène, et qui s’adresse d’abord aux sens au lieu de s’adresser d’abord à l’esprit comme le langage de la parole. (Je sais bien que les mots eux aussi ont des possibilités de sonorisation, des façons diverses de se projeter dans l’espace, que l’on appelle les intonations. Et il y aurait d’ailleurs beaucoup à dire sur la valeur concrète de l’intonation au théâtre, sur cette faculté qu’ont les mots de créer eux aussi une musique suivant la façon dont ils sont prononcés, indépendamment de leur sens concret, et qui peut même aller contre ce sens, — de créer sous le langage un courant souterrain d’impressions, de correspondances, d’analogies ; mais cette façon théâtrale de considérer le langage est déjà un côté du