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LA MISE EN SCÈNE ET LA MÉTAPHYSIQUE

Dire pourquoi l’impression de désastre, qui se dégage de la vue d’un ou deux navires seulement en morceaux, est si totale, serait difficile.

Il semble que le peintre ait eu connaissance de certains secrets concernant l’harmonie linéaire, et des moyens de la faire agir directement sur le cerveau, comme un réactif physique. En tout cas cette impression d’intelligence répandue dans la nature extérieure, et surtout dans la façon de la représenter, est visible dans plusieurs autres détails de la toile, témoin ce pont de la hauteur d’une maison de huit étages dressé sur la mer, et où des personnages, à la queue-leu-leu, défilent comme les Idées dans la caverne de Platon.

Prétendre que les idées qui se dégagent de ce tableau sont claires serait faux. Elles sont en tout cas d’une grandeur dont la peinture qui ne sait que peindre, c’est-à-dire toute la peinture de plusieurs siècles, nous a complètement désaccoutumés.

Il y a accessoirement du côté de Loth et de ses filles, une idée sur la sexualité et la reproduction, avec Loth qui semble mis là pour profiter de ses filles abusivement, comme un frelon.

C’est à peu près la seule idée sociale que la peinture contienne.

Toutes les autres idées sont métaphysiques. Je regrette beaucoup de prononcer ce mot-là, mais c’est leur nom : et je dirai même que leur grandeur poétique, leur efficacité concrète sur nous, vient de ce qu’elles sont métaphysiques, et que leur profondeur spirituelle est inséparable de l’harmonie formelle et extérieure du tableau.

Il y a encore un idée sur le Devenir que les divers détails du paysage et la façon dont ils sont peints, dont leurs plans s’annihilent ou se correspondent, nous introduisent dans l’esprit absolument comme une musique le ferait.