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LE THÉATRE ET SON DOUBLE

Il arrive que dans le grésillement d’un feu d’artifice, à travers le bombardement nocturne des étoiles, des fusées, des bombes solaires, nous voyions tout à coup se révéler à nos yeux dans une lumière d’hallucination, venus en relief sur la nuit, certains détails du paysage : arbres, tours, montagnes, maisons, dont l’éclairage et dont l’apparition demeureront définitivement liés dans notre esprit avec l’idée de ce déchirement sonore ; il n’est pas possible de mieux exprimer cette soumission des aspects divers du paysage au feu manifesté dans le ciel, qu’en disant que bien qu’ils possèdent leur lumière propre, ils demeurent malgré tout en relation avec lui, comme des sortes d’échos ralentis, comme de vivants points de repère nés de lui et placés là pour lui permettre d’exercer toute sa force de destruction.

Il y a d’ailleurs dans la façon dont le peintre décrit ce feu quelque chose d’affreusement énergique et de troublant, comme un élément encore en action et mobile dans une expression immobilisée. Peu importe par quels moyens cet effet est atteint, il est réel ; il suffit de voir la toile pour s’en convaincre.

Quoi qu’il en soit, ce feu dont nul ne niera l’impression d’intelligence et de méchanceté qui s’en dégage, sert, par sa violence même, de contrepoids dans l’esprit à la stabilité matérielle et pesante du reste.

Entre la mer et le ciel mais vers la droite, et sur le même plan en perspective que la Tour Noire, s’avance une mince langue de terre couronnée d’un monastère en ruine.

Cette langue de terre, si proche qu’elle paraisse du rivage sur lequel se dresse la tente de Loth, laisse place à un golfe immense dans lequel semble s’être produit un désastre maritime sans précédent. Des vaisseaux coupés en deux et qui n’arrivent pas à couler s’appuient sur la mer comme sur des béquilles, laissant de toutes parts flotter leurs mâtures arrachées et leur espars.