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LE THÉATRE ET SON DOUBLE

sommes prêts à les plaindre comme des victimes, ils se révèlent prêts à rendre à la destinée menace pour menace et coup pour coup.

Nous marchons avec eux d’excès en excès et de revendication en revendication. Annabella est prise, convaincue d’adultère, d’inceste, piétinée, insultée, traînée par les cheveux, et notre stupeur est grande de voir que loin de chercher une échappatoire, elle provoque encore son bourreau et chante dans une sorte d’héroïsme obstiné. C’est l’absolu de la révolte, c’est l’amour sans répit, et exemplaire, qui nous fait, nous spectateurs, haleter d’angoisse à l’idée que rien ne pourra jamais l’arrêter.

Si l’on cherche un exemple de la liberté absolue dans la révolte, l’Annabella de Ford nous offre ce poétique exemple lié à l’image du danger absolu.

Et quand nous nous croyons arrivés au paroxysme de l’horreur, du sang, des lois bafouées, de la poésie enfin que sacre la révolte, nous sommes obligés d’aller encore plus loin dans un vertige que rien ne peut arrêter.

Mais à la fin, nous disons-nous, c’est la vengeance, c’est la mort pour tant d’audace et pour un aussi irrésistible forfait.

Eh bien, non. Et Giovanni, l’amant, qu’un grand poète exalté inspire, va se mettre au-dessus de la vengeance, au-dessus du crime, par une sorte de crime indescriptible et passionné, au-dessus de la menace, au-dessus de l’horreur par une horreur plus grande qui déroute en même temps les lois, la morale et ceux qui osent avoir l’audace de s’ériger en justiciers.

Un piège est savamment ourdi, un grand festin est commandé où, parmi les convives, des spadassins et des sbires seront cachés, prêts au premier signal, à se précipiter sur lui. Mais ce héros traqué, perdu, et que l’amour inspire, ne va laisser personne faire justice de cet amour.

Vous voulez, semble-t-il dire, la peau de mon amour,