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LE THÉATRE ET LA PESTE

car il ne peut y avoir théâtre qu’à partir du moment où commence réellement l’impossible et où la poésie qui se passe sur la scène alimente et surchauffe des symboles réalisés.

Ces symboles qui sont le signe de forces mûres, mais jusque-là tenues en servitude, et inutilisables dans la réalité, éclatent sous l’aspect d’images incroyables qui donnent droit de cité et d’existence à des actes hostiles par nature à la vie des sociétés.

Une vraie pièce de théâtre bouscule le repos des sens, libère l’inconscient comprimé, pousse à une sorte de révolte virtuelle et qui d’ailleurs ne peut avoir tout son prix que si elle demeure virtuelle, impose aux collectivités rassemblées une attitude héroïque et difficile.

C’est ainsi que dans l’Annabella de Ford, nous voyons pour notre plus grande stupeur et dès le lever du rideau, un être rué dans une revendication insolente d’inceste, et qui tend toute sa vigueur d’être conscient et jeune à la proclamer et à la justifier.

Il ne balance pas un instant, il n’hésite pas une minute : et il montre par là combien peu comptent toutes les barrières qui pourraient lui être opposées. Il est criminel avec héroïsme et il est héroïque avec audace et ostentation. Tout le pousse dans ce sens et l’exalte, il n’y a pour lui ni terre ni ciel, mais la force de sa passion convulsive, à laquelle ne manque pas de répondre la passion rebelle, elle aussi, et tout aussi héroïque d’Annabella.

« Je pleure, dit celle-ci, non de remords, mais de crainte de ne pouvoir parvenir à l’assouvissement de ma passion. » Ils sont tous deux faussaires, hypocrites, menteurs, pour le bien de leur passion surhumaine que les lois endiguent et briment, mais qu’ils mettront au-dessus des lois.

Vengeance pour vengeance et crime pour crime. Là où nous les croyons menacés, traqués, perdus et où nous