qui n’est pas celle d’Hippocrate, qui n’est pas celle de Syracuse, qui n’est pas celle de Florence, la Noire, à laquelle l’Europe du moyen âge doit ses cinquante millions de morts. Personne ne dira pourquoi la peste frappe le lâche qui fuit et épargne le paillard qui se satisfait sur des cadavres. Pourquoi l’éloignement, la chasteté, la solitude sont sans action contre les atteintes du fléau, et pourquoi tel groupement de débauchés qui s’est isolé à la campagne, comme Boccace avec deux compagnons bien montés et sept dévotes luxurieuses, peut attendre en paix les jours chauds au milieu desquels la peste se retire ; et pourquoi dans un château à proximité, transformé en citadelle guerrière avec un cordon d’hommes d’armes qui en interdisent l’entrée, la peste transforme toute la garnison et les occupants en cadavres et épargne les hommes d’armes, seuls exposés à la contagion. Qui expliquera également que les cordons sanitaires établis à grands renforts de troupes, par Mehmet Ali, vers la fin du siècle dernier, à l’occasion d’une recrudescence de la peste égyptienne, se soient montrés efficaces pour protéger les couvents, les écoles, les prisons et les palais ; et que des foyers multiples d’une peste qui avait toutes les caractéristiques de la peste orientale, aient pu éclater soudainement dans l’Europe du moyen âge en des endroits sans aucun contact avec l’Orient.
De ces bizarreries, de ces mystères, de ces contradictions et de ces traits, il faut composer la physionomie spirituelle d’un mal qui creuse l’organisme et la vie jusqu’au déchirement et jusqu’au spasme, comme une douleur qui, à mesure qu’elle croît en intensité et qu’elle s’enfonce, multiplie ses avenues et ses richesses dans tous les cercles de la sensibilité.
Mais de cette liberté spirituelle, avec laquelle la peste se développe, sans rats, sans microbes et sans contacts on peut tirer le jeu absolu et sombre d’un spectacle que je m’en vais essayer d’analyser.