Page:Artaud - Le théâtre et son double - 1938.djvu/128

Cette page a été validée par deux contributeurs.
126
LE THÉATRE ET SON DOUBLE

nérable du théâtre tel qu’on le considère non seulement en France mais en Europe et même dans tout l’Occident : le théâtre occidental ne reconnaît comme langage, n’attribue les facultés et les vertus d’un langage, ne permet de s’appeler langage, avec cette sorte de dignité intellectuelle qu’on attribue en général à ce mot, qu’au langage articulé, articulé grammaticalement, c’est-à-dire au langage de la parole, et de la parole écrite, de la parole qui, prononcée ou non prononcée, n’a pas plus de valeur que si elle était seulement écrite.

Dans le théâtre tel que nous le concevons ici le texte est tout. Il est entendu, il est définitivement admis, et cela est passé dans les mœurs et dans l’esprit, cela a rang de valeur spirituelle que le langage des mots est le langage majeur. Or il faut bien admettre même au point de vue de l’Occident que la parole s’est ossifiée, que les mots, que tous les mots sont gelés, sont engoncés dans leur signification, dans une terminologie schématique et restreinte. Pour le théâtre, tel qu’il se pratique ici, un mot écrit a autant de valeur que le même mot prononcé. Ce qui fait dire à certains amateurs de théâtre qu’une pièce lue procure des joies autrement précises, autrement grandes que la même pièce représentée. Tout ce qui touche à l’énonciation particulière d’un mot, à la vibration qu’il peut répandre dans l’espace, leur échappe, et tout ce que, de ce fait, il est capable d’ajouter à la pensée. Un mot ainsi entendu n’a guère qu’une valeur discursive, c’est-à-dire d’élucidation. Et il n’est pas, dans ces conditions, exagéré de dire que vu sa terminologie bien définie et bien finie, le mot n’est fait que pour arrêter la pensée, il la cerne, mais la termine ; il n’est en somme qu’un aboutissement.

Ce n’est pas pour rien, on peut le voir, que la poésie s’est retirée du théâtre. Ce n’est pas par un simple hasard des circonstances, si depuis fort longtemps, tout poète dramatique a cessé de se manifester. Le langage de la