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PRÉFACE

tout de suite, il nous importe encore plus de ne pas gaspiller dans l’unique souci de manger tout de suite notre simple force d’avoir faim.

Si le signe de l’époque est la confusion, je vois à la base de cette confusion une rupture entre les choses, et les paroles, les idées, les signes qui en sont la représentation.

Ce ne sont certes pas les systèmes à penser qui manquent ; leur nombre et leurs contradictions caractérisent notre vieille culture européenne et française : mais où voit-on que la vie, notre vie, ait jamais été affectée par ces systèmes ?

Je ne dirai pas que les systèmes philosophiques soient choses à appliquer directement et tout de suite ; mais de deux choses l’une :

Ou ces systèmes sont en nous et nous en sommes imprégnés au point d’en vivre, et alors qu’importent les livres ? ou nous n’en sommes pas imprégnés et alors ils ne méritaient pas de nous faire vivre ; et de toute façon qu’importe leur disparition ?

Il faut insister sur cette idée de la culture en action et qui devient en nous comme un nouvel organe, une sorte de souffle second : et la civilisation, c’est de la culture qu’on applique et qui régit jusqu’à nos actions les plus subtiles, l’esprit présent dans les choses ; et c’est artificiellement qu’on sépare la civilisation de la culture et qu’il y a deux mots pour signifier une seule et identique action.

On juge un civilisé à la façon dont il se comporte et il pense comme il se comporte ; mais déjà sur le mot de civilisé il y a confusion ; pour tout le monde un civilisé cultivé est un homme renseigné sur des systèmes, et qui pense en systèmes, en formes, en signes, en représentations.

C’est un monstre chez qui s’est développée jusqu’à l’absurde cette faculté que nous avons de tirer des pensées