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poésie lyrique n’était donc pas pour lui une jouissance solitaire qui dût être goûtée entre initiés, et, avant de la déclamer, il n’entendait point faire reculer les profanes. À eux elle était destinée, et il voulait que tous puissent l’entendre et en percevoir la musique.

Il voulait encore plus énergiquement que tous puissent la comprendre et en saisir le sens. De là sa réforme grammaticale, conçue dans le même esprit pratique. Impitoyable sur la propriété des mots, il entendait que l’écrivain dît exactement ce qu’il avait l’intention de dire, sans se laisser bercer dans un nonchalant à peu près. L’on frémit à la pensée de ce qu’eût pu être un volume de Lamartine corrigé par Malherbe !

Il fit tout pour donner à la langue poétique le naturel. Il voulut que l’on écrivît, même en vers, comme l’on parle : tous ses ennemis s’accordent à lui reprocher d’avoir identifié la langue de la poésie et celle de la prose, ils auraient même pu ajouter celle de la prose orale. Car ceux qui lui demandaient si tel ou tel mot était ou non français, il les renvoyait ordinairement, comme on sait, aux crocheteurs du Port-au-Foin, qui chargeaient et déchargeaient les bateaux sous les fenêtres du Louvre : « Ce sont, disait-il, mes maîtres pour le langage, » et il ne craignait pas de mettre une chanson populaire au-dessus de toutes les œuvres de Ronsard. Par là il n’entendait point transporter tout le parler du peuple dans la poésie