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MALHERBE

vu abbé des Vaux de Cernay, de Tiron et de Josaphat près de Chartres, de Bonport en Normandie, avec l’âme la moins abbatiale de l’univers ; il y avait joint un bon canonicat à la Sainte-Chapelle, en tout deux cent mille livres de rentes de la monnaie actuelle. — Pauvre Gringoire, tes successeurs ont fait des pas de géant, toi qui n’avais pour tout bien que ton pourpoint en loques !

À vrai dire, pendant la dernière guerre civile, notre abbé avait perdu quelque chose de sa… ceinture dorée, et, dans ses négociations avec Sully et le Bon Roi, n’avait réussi à sauver que deux abbayes sur quatre. C’était assez pour le maintenir dans la bonne humeur souriante, avec laquelle il côtoyait depuis quarante ans les intrigues de sang, depuis le jour où la fortune s’était, pour la première fois, offerte à lui sur le pont d’Avignon ; — assez pour garder sa table savoureuse ouverte à tout venant parmi les poètes. Cette gracieuse nature, qui sut traverser élégamment le siècle le plus honteux de notre histoire, avait encore affiné sa grâce native au contact de l’Italie, où son premier patron, l’évêque du Puy, avait tout d’abord emmené ses vingt ans. Le jeune homme en avait rapporté, pour l’acclimater en France pendant toute sa vie, une douceur brillante, qui n’a jamais été atteinte chez nous par un autre poète. On en jugerait bien par son agile Prière au sommeil, qui débute ainsi :

Somme, doux repos de nos yeux,
aimé des hommes et des dieux,