Page:Arnould - Quelques poètes, 1907.djvu/54

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
36
QUELQUES POÈTES

Musset, ou les Châtiments, d’Hugo : j’ai appliqué le sentiment exprimé par le poète à des émotions que j’ai éprouvées, en personne, ou connues à côté de moi ; qu’importe que vous veniez m’apprendre que ces pièces furent inspirées à leurs auteurs par la passion sentimentale de l’un pour Mme Charles, par le voyage en Italie de l’autre avec George Sand, par l’exil politique du troisième à Jersey ! L’appréciation de la vraie beauté artistique, dont le caractère est justement l’universalité, n’a que faire de cette intrusion de la chronique indiscrète, voire même scandaleuse. — Nous avouons que cette objection, à laquelle nous avons cherché à donner toute sa force, nous semble la plus grave. Là est manifestement l’écueil de la méthode. Mais quelle méthode n’a pas les siens ? Il faut l’avoir regardé en face pour savoir l’éviter, pour résister à la tentation toujours vive d’éveiller malicieusement la curiosité mondaine et frivole, au lieu de laisser couler à larges bords l’admiration du beau. C’est affaire de tact et de doigté, et encore plus peut-être de naturelle largeur d’esprit. Sainte-Beuve n’en a pas toujours fait preuve, et l’on a beau jeu à lui reprocher d’avoir paru ressentir comme une secrète jouissance à ramener l’âme des écrivains étudiés par lui à des dimensions humaines, même bourgeoises, à « montrer le visage des morts », comme disait crûment l’ancien carabin, « avec leur front, leur teint, leurs verrues », à les déloger du « point de perspective et d’illusion » où ils se trouvaient, pour « leur