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LA MÉTHODE DE CRITIQUE LITTÉRAIRE

doute, la méditation des idées générales, la création ou l’analyse de la beauté esthétique, sont singulièrement passionnantes. Mais la première n’est que le partage d’esprits d’élite, et encore ne se produit-elle chez eux que moyennant certaines précautions et à certaines heures privilégiées ; quant au beau, il ne vise qu’à réaliser plus d’humanité, mais c’est de l’humanité élaborée artificiellement et noblement d’ailleurs par l’art et extraite de la vie. Or, le spectacle direct de la vie séduit beaucoup plus souvent les hommes et un bien plus grand nombre d’entre eux : une preuve brutale en est que la masse des lecteurs de journaux se jette avant tout et parfois exclusivement sur les faits-divers et les feuilletons, c’est-à-dire, d’une part, sur les événements graves arrivés à des congénères dont on ignore et dont on ne cherche même point à retenir le nom, d’autre part sur les récits d’existences imaginaires, mais très vivantes, qu’ouvre aux lecteurs l’habileté des romanciers.

Dans le cours de nos journées à chacun, qu’est-ce qui nous intéresse donc plus universellement, plus immédiatement, plus inlassablement, que la vie d’un de nos semblables, qui nous sera soudain révélée par un récit bien fait, par une confidence sincère, par une de ces surprises quelconques du hasard qui viennent, à certains moments, nous découvrir l’intimité d’un foyer ou le tréfonds d’une destinée ?

C’est que, tout occupés nous-mêmes et tendus à vivre, nous regardons de tous nos yeux com-