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QUELQUES POÈTES

ture, et aussi à cette incertitude où il a laissé le lecteur de savoir si son campagnard est gentilhomme ou manant, car le poète nous parle tour à tour de sa « cabane » et de ses grandes chasses. Mais autant la veine des ancêtres s’est étalée familièrement en détails diffus, autant la pièce de Racan est sobre et ferme ; il a su choisir, ce qui était un mérite inconnu au 16e siècle ; il se privait nécessairement ainsi de maintes ressources pittoresques, mais en revanche il encadra son paysage d’idées philosophiques qui lui donnaient une singulière portée.

Considérées en elles-mêmes, les Stances peuvent nous sembler gauches et naïves en plus d’un endroit ; mais rapprochées de ces poèmes composés quarante ans plus tôt, elles permettent de mesurer tout le progrès réalisé par la poésie et en général par la pensée française.

Les Stances sur la Retraite vérifient cette loi, qui est confirmée par tant de grandes œuvres : souvent celles-ci nous apparaissent de loin comme isolées, et en réalité elles ne forment que la fin et l’aboutissement de toute une littérature qui les a précédées, qu’elles résument dans ses grandes lignes et suppriment en quelque sorte pour la postérité. La tige et la racine échappent à notre vue pour ne laisser apparaître que la fleur éclatante. Les Stances sont donc plus que le chant des désillusions du poète : elles ouvrent aussi cet intérêt plus général d’incarner le rêve rustique de tout le 16e siècle.