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RACAN 195

sa province, qu’il abandonna assez de temps pour savoir qu’il l’aimait profondément, pas assez pour l’oublier.

Outre qu’il est un de nos meilleurs poètes élégiaques dans le genre moyen, un de nos lyriques les plus animés et notre meilleur pastoralier dramatique, Racan demeure en somme (et il le doit à la Touraine) un de nos seuls poètes rustiques, un de nos rares auteurs de Géorgiques françaises, et, par là, un vrai poète[1].

J’imagine que l’âme de ce vrai poète doit toujours aimer à flâner, même après sa mort. Rêveuse, elle doit sortir des Champs Élysées vers le soir, à l’heure où le croissant d’argent de la lune commence à briller au milieu de l’azur du ciel, comme en son propre blason ; à l’heure où

 
de toutes parts les laboureurs lassés
traînent devers les bourgs leurs contres renversés.

Et l’ombre va, doucement errante, « le long de ses » anciens « ruisseaux », ou sur les berges de la Loire, ou par les larges avenues de la ville de Tours, et le poète s’enquiert avec indolence, selon sa vieille habitude, de ce qui se passe en son pays. Il interroge discrètement sur ces statues de confrères, qu’il aperçoit se profiler dans la ville ou même dans des campagnes voisines ; il apprend que lui n’a point de statue, pas même de

  1. Nous avons proposé dès 1898, d’accord avec notre savant collègue M. Ernault, ce terme de pastoralier pour auteur de pastorale, comme l’on dit fablier et animalier.