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Racan avait retenu pêle-mêle, avec les principaux articles du code littéraire de Malherbe, toutes les boutades échappées à sa brusquerie naturelle, et, comme il vécut fort âgé et qu’il était très conteur, il les conta pendant quarante ans.

Le poète avait affirmé dans sa superbe :


Ce que Malherbe écrit dure éternellement ;

il fut dépassé dans son attente, car il y eut plus, et


Ce que Malherbe dit dure éternellement.

Le maître était loin de s’en douter : l’eût-il soupçonné, que sa vanité eût été capable de s’en trouver au fond flattée, mais son bon sens n’eût pas manqué de décocher au trop fidèle disciple l’un de ces mots vifs dont il avait l’habitude et qui emportaient la pièce. Ce mot, il est même permis de le conjecturer, non sans vraisemblance, d’après celui qu’il lança un jour d’impatience au même Racan.

Un grand seigneur, qui se piquait de poésie, reprochait une fois à ce dernier le mauvais emploi d’un adjectif dans un de ses vers : l’auteur des Bergeries invoque aussitôt un vers de Malherbe où le même terme est employé, et Malherbe du coin où il écoutait, s’écrie brusquement : « Eh bien, mort Dieu ! si je fais un…, en voulez-vous faire un autre ? »

Racan savait par cœur tout ce qu’avait lâché son maître, en fait de boutades, durant vingt-trois ans, et il le répétait pieusement.