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en chair et en os, c’est-à-dire bègue et essoufflé, arrive : « Ô la ridicule figure ! » s’écrie Mlle  de Gournay. Il prend un siège sans cérémonie, tout en bégayant : « Mademoiselle, je vous dirai tout à l’heure pourquoi je suis venu ici, quand j’aurai repris mon haleine… ». Il se nomme, elle se fâche : « Je ne sais pas qui vous êtes, mais vous êtes le plus sot des trois. Merdieu ! [Mère de Dieu !] je n’entends pas qu’on me raille ! » La voilà en fureur, elle défait sa pantoufle et charge le vrai Racan à grands coups de mule ; des gens montent, le poète se pend à la corde de la montée et se laisse couler en bas.

Détrompée le jour même, elle dut emprunter, le lendemain, un carrosse et aller faire amende honorable. L’aventure des Trois Racans défraya tout le 17e siècle et se joue encore aujourd’hui en comédie de société.

Malherbe était vraiment chanceux : ses ennemis mouraient ou étaient ridicules, ce qui en France, comme on sait, revient au même. De plus, les deux corps de troupes constitués par eux tinrent campagne séparément, firent la maladresse de ne se joindre jamais, et de ne pas franchir la distance qui les séparait, venant de l'âge et plus encore peut-être des principes ; les vieux adversaires, doués d’une vertu austère, ne voulurent point frayer avec la jeune école satirique, suspecte d’athéisme et d’immoralité et habituée de