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Desportes n’est pas net, du Bellay, trop facille,
Belleau ne parle pas comme on parle à la viîle,
il a des mots hargneux, bouffis et relevés
qui du peuple aujourd’hui ne sont pas approuvés.
Comment ! il nous faut donc, pour faire une œuvre
qui de la calomnie et du temps se défende, [grande,
qui trouve quelque place entre les bons auteurs,
parler comme à Saint- Jean parlent les crocheteurs ?

Encore je le veux, pourvu qu’ils puissent faire
que ce beau savoir entre en l’esprit du vulgaire,
et quand les crocheteurs seront poètes fameux,
alors, sans me fâcher, je parlerai comme eux.

Pensent-ils, des plus vieux offensant la mémoire,
par le mépris d’autrui s’acquérir de la gloire,
et pour quelque vieux mot, étrange ou de travers,
prouver qu’ils ont raison de censurer leurs vers ?
(Alors qu’une œuvre brille et d’art et de science,
la verve quelquefois s’égaye en la licence.)
… Cependant leur savoir ne s’étend seulement
qu’à regratter un mot douteux au jugement,
prendre garde qu’un qui ne heurte une diphtongue,
épier si des vers la rime est brève ou longue,
ou bien si la voyelle à l’autre s’unissant
ne rend point à l’oreille un vers trop languissant,
et laissent sur le vert le noble de l’ouvrage :
nul aiguillon divin n’élève leur courage,
ils rampent bassement, faibles d’inventions,
et n’osent, peu hardis, tenter les fictions,
froids à l’imaginer, car s’ils font quelque chose,
c’est proser de la rime et rimer de la prose,
que l’art lime et relime et polit de façon
qu’elle rend à l’oreille un agréable son…

L’attaque était vive, et l’adversaire redoutable, mais il disparut vite. Desportes s’était éteint en 1606, quelques mois après le déjeuner de Vanves. Son neveu, usé par tous les excès, succomba, à 40 ans, dans une auberge de Rouen, en 1613.