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chaient fermes et résolus, d’un pas cadencé, avec le léger désordre dans les rangs d’une troupe qui sait qu’on ne la voit pas, et s’accorde un dernier moment de doux laisser-aller avant le combat dont beaucoup ne reviendront pas.

A leur marche, ces hommes joignaient un chant, mais fredonné seulement à demi-voix pour ne pas réveiller la ville endormie. C’était un chant mi-guerrier mi-satirique, un de ces chants populaires, comme Paris en enfante chaque jour, où la bonne humeur perce à travers la colère, où l’ironie se mêle à la menace.

Qui les voyait ? Qui les entendait ? — Ils se montraient simplement ce que la nature et une forte conviction les avaient faits, et nul ne devait savoir que, cette nuit-là, quelques centaines de Parisiens étaient allés à la mort, sublimes, le sourire aux lèvres.

Je les suivis des yeux jusqu’à ce qu’ils disparussent au loin, puis j’écoutai le bruit du canon, et je comptai les éclairs !

Il y aurait tout un livre à faire sur le Paris de la Commune, livre poignant et consolant, tableau de la grandeur morale, de l’enthousiasme révolutionnaire, des naïvetés, des joies, des illusions, de ce peuple qui ne devint sombre et terrible que sous le couteau, alors que chacun se battait derrière des remparts de cadavres, non plus pour vaincre, non plus pour sauver sa liberté ou sa vie, mais pour venger sa mort et la mort des siens, — alors que, dans la dernière convulsion de son agonie, la Révolution étendait autour d’elle ses puissantes mains que la raison ne dirigeait plus, pour entraîner avec elle dans l’abîme où elle se sentait engloutir, les bourreaux, les assassins qui se soûlaient de son sang.