des poulets gras[1], quand le peuple mourait de faim, et certains commerçants de la faculté de s’enrichir aux dépens de la misère publique, le
- ↑ On lit dans le Radical du 21 mars 1872 :
Vous savez combien de gens moururent de faim pendant le siège. C’est que Brébant n’était pas de leurs amis. Les amis de Brébant n’ont manqué de rien, eux ; bien au contraire, ils ont fait bombance, ils ont fait ripaille.
Ces braves étaient quatorze, de bons camarades, de joyeux vivants, amis des vers aimables et des flacons jaseurs.
Deux fois par mois, ils s’en allaient à heure dite, au rendez-vous commun, se taisant jour, des épaules et des coudes, à travers les longues files de pauvres femmes attardées au coin des rues, devant les boulangeries et les boucheries ; ce spectacle d’enfants hâves et de vieillards piétinant dans la boue, les mettait en appétit ; d’un pas philosophiquement allègre, ils gagnaient le boulevard Montmartre, poussaient, le sourire aux lèvres, la porte de Brébant ; là, pendant que Paris, sans pain, serrait d’un cran son ceinturon de garde national, eux, repus, crevant d’indigestion, lâchaient le premier bouton, puis le deuxième.
Venait l’heure où les obus pleuvaient sur la rive gauche, ces messieurs, bien en sûreté sur la rive droite, réclamaient le champagne ; les bouchons valaient au plafond, un joyeux bombardement commençait, et ce bombardement, mêlé d’éclats de rire et de propos malins, les faisait pâmer d’aise.
On n’oublie pas ces choses-là ; le cœur peut manquer de mémoire, le ventre jamais. Ces messieurs ont tenu à le bien prouver. Ils ont donc fait frapper à la Monnaie de Paris une médaille en or fin, d’une valeur de trois cents francs, en l’honneur de Brébant, de ce restaurateur, de cet ami, de ce dieu, qui fit tant de prodiges pour leur estomac.
Sur la face, on lit :
Pendant
le siège de Paris
quelques personnes ayant
accoutumé de se réunir chez M. Brébant,
tous les quinze jours, ne se sont pas, une seule
fois, aperçues qu’elles dînaient dans
une ville de deux millions
d’âmes assiégées
1870-1871.Au revers :
A M. Paul Brébant
Ernest Renan, Ch. Edmond, P. de Saint Victor, Thurot, M. Berthelot, J. Bertrand, Ch. Blanc, Marey, Scherer, E. de Goncourt, Dumesnil, T. Gauthier, A, Neffttzer, A. Hébrard.
Ces quatorze noms, burinés dans l’or fin, apprendront aux races futures comment on se console des souffrances publiques, quand on est un philosophe comme M. Renan, un poète comme M. Théophile Gauthier, un romancier comme M. de Goncourt, un critique comme M. Paul de Saint-Victor. Alfred Deberle.