autres, et dans l’espérance de quelque retour, ou enfin par une espèce de malice et de raillerie ; et nous ne devons pas nous laisser étourdir par tout ce que l’on peut nous dire. Ne voyons-nous pas tous les jours que des personnes qui ne se connaissent point ne laissent pas de s’élever l’un l’autre jusques aux nues la première fois même qu’ils se voient et qu’ils se parlent ? Et qu’y a-t-il de plus ordinaire que de voir des gens qui donnent des louages hyperboliques et qui témoignent des mouvements extraordinaires d’admiration à une personne qui vient de parler en public, même en présence de ceux avec lesquels ils s’en sont moqués quelque temps auparavant ? Toutes les fois qu’on se récrie, qu’on pâlit d’admiration, et comme surpris des choses que l’on entend, ce n’est pas une bonne preuve que celui qui parle dit des merveilles, mais plutôt qu’il parle à des hommes flatteurs, qu’il a des amis ou peut-être des ennemis qui se divertissent de lui. C’est qu’il parle d’une manière engageante, qu’il est riche et puissant ; ou, si on le veut, c’est une assez bonne preuve que ce qu’il dit est appuyé sur les notions des sens confuses et obscures, mais fort touchantes et fort agréables, ou qu’il a quelque feu d’imagination, puisque les louanges se donnent à l’amitié, aux richesses, aux dignités, aux vraisemblances, et très-rarement à la vérité.
C’est à la morale à découvrir toutes les erreurs particulières dans lesquelles nos passions nous engagent touchant le bien ; c’est à elle à combattre les amours déréglées, à rétablir la droiture du cœur, à régler les mœurs. Mais ici notre fin principale est de régler l’esprit, et de découvrir les causes de nos erreurs à l’égard de la vérité : ainsi nous ne pousserons pas davantage les choses que nous venons de dire, qui ne regardent que l’amour du vrai bien. Nous allons à l’esprit, et nous ne passons par le cœur que parce que le cœur en est le maître. Nous recherchons la vérité en elle-même et sans rapport à nous ; et nous ne considérons le rapport qu’elle a avec nous que parce que ce rapport est cause que l’amour-propre nous la cache et nous la déguise ; car nous jugeons de toutes choses selon nos passions, et par conséquent nous nous