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E, je ne vois par pour cela celui qui existe entre A et E, et je ne puis le déterminer avec précision d’après les rapports connus, si je ne me les rappelle tous. C’est pourquoi je les parcourrai de temps en temps par un mouvement continu de l’imagination, en sorte qu’à la fois elle en voie un et passe à un autre, jusqu’à ce que j’aie appris à passer du premier au dernier assez rapidement pour paraître, presque sans le secours de la mémoire, les saisir tous d’un coup d’œil. Cette méthode, tout en aidant la mémoire, corrige en outre la lenteur de l’esprit et en étend pour ainsi dire la capacité.

J’ajoute que ce mouvement ne doit pas être interrompu ; souvent, en effet, ceux qui trop vite, et de principes éloignés, veulent tirer une conséquence, ne parcourent pas toute la chaîne des conclusions intermédiaires avec tant de soin qu’ils n’en passent un grand nombre inconsidérément. Et certes, dès qu’on en omet une, fût-elle la moindre de toutes, la chaîne est aussitôt rompue et toute la certitude de la conclusion disparaît.

Je dis, en outre, que l’énumération est nécessaire au complément de la science ; en effet, les autres règles sont utiles pour la solution d’un grand nombre de questions, mais il n’y a que l’énumération qui puisse faire que nous portions un jugement sûr et certain sur tous les objets auxquels nous nous appliquons, et conséquemment que rien ne nous échappe entièrement, mais que nous paraissions avoir quelques lumières sur toutes choses.

L’énumération ou l’induction est donc la recherche de tout ce qui se rattache à une question donnée, et cette recherche doit être si diligente et si soignée que l’on puisse en conclure avec évidence et certitude que nous n’avons rien omis par notre faute ; en sorte que si, malgré l’emploi que nous en aurons fait, la chose cherchée nous échappe, nous soyons du moins plus savants, en ce que nous saurons fermement que pas une des voies à nous connues ne pourrait nous conduire à la découverte de cette chose, et que si par aventure, comme il arrive souvent, nous avons pu parcourir toutes les voies qui y conduisent, nous puissions affirmer hardiment que la connaissance en est au-dessus de l’intelligence humaine.

Notons en outre que, par énumération suffisante ou induction, nous entendons seulement le moyen qui sert à découvrir la vérité avec plus de certitude que ne pourrait le faire tout autre genre de preuves, excepté la simple intuition,