Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/128

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

très-confus de tout objet, n’y ayant que le néant à quoi on ne puisse appliquer le mot de chose.

Mais, comme le pronom démonstratif hoc ne marque pas simplement la chose en elle-même, et qu’il l’a fait concevoir comme présente, l’esprit n’en demeure pas à ce seul attribut de chose, il y joint d’ordinaire quelques autres attributs distincts ; ainsi quand on se sert du mot de ceci pour montrer un diamant, l’esprit ne se contente pas de le concevoir comme une chose présente, mais il y ajoute les idées de corps dur et éclatant qui a une telle forme.

Toutes ces idées, tant la première et principale que celles que l’esprit y ajoute, s’excitent par le mot de hoc appliqué à un diamant ; mais elles ne s’y excitent pas de la même manière, car l’idée de l’attribut de chose présente s’y excite comme la propre signification du mot, et ces autres s’excitent comme des idées que l’esprit conçoit liées et identifiées avec cette première et principale idée, mais qui ne sont pas marquées précisément par le pronom hoc ; c’est pourquoi, selon que l’on emploie ce terme de hoc en des matières différentes, les additions sont différentes. Si je dis hoc en montrant un diamant, ce terme signifiera toujours cette chose ; mais l’esprit y suppléera, et ajoutera, qui est un diamant, qui est un corps dur et éclatant ; si c’est du vin, l’esprit y ajoutera les idées de la liquidité, du goût et de la couleur du vin, et ainsi des autres choses.

Il faut donc bien distinguer ces idées ajoutées des idées signifiées, car quoique les unes et les autres se trouvent dans un même esprit, elles ne s’y trouvent pas de la même sorte ; et l’esprit, qui ajoute ces autres idées plus distinctes, ne laisse pas de concevoir que le terme de hoc ne signifie de soi-même qu’une idée confuse, qui, quoique jointe à des idées plus distinctes, demeure toujours confuse.

C’est par là qu’il faut démêler une chicane importune que les ministres ont rendue célèbre, et sur laquelle ils fondent leur principal argument pour établir leur sens de figure dans l’eucharistie ; et l’on ne doit pas s’étonner que nous nous servions ici de cette remarque pour éclaircir cet argument, puisqu’il est plus digne de la logique que de la théologie.

Leur prétention est que, dans cette proposition de Jésus-Christ : Ceci est mon corps, le mot de ceci signifie le pain ; or, disent-ils, le pain ne peut être réellement le corps de Jésus-Christ, donc la proposition de Jésus-Christ ne signifie point, ceci est réellement mon corps.

Il n’est pas question d’examiner ici la mineure et d’en faire voir la fausseté ; on l’a fait ailleurs[1] ; et il ne s’agit que de la majeure par laquelle ils soutiennent que le mot de ceci signifie le pain ; et il n’y a qu’à leur dire sur cela, selon le principe que nous avons établi, que le mot de pain marquant une idée distincte, n’est point précisément ce qui répond au terme de hoc, qui ne marque que l’idée confuse de chose

  1. De la perpétuité de la foi de l’Église catholique touchant l’Eucharistie, par Arnauld.