Page:Arnaud - Recueil de tombeaux des quatre cimetières de Paris, 2.djvu/167

Cette page a été validée par deux contributeurs.


La Mort dit, et me quitte. À ces mots menaçans,
Un frisson invincible avait glacé mes sens.
Cet effroi douloureux n’était pas un mensonge.
Je m’éveillai tremblant, le reste n’est qu’un songe,
Mais qui, dans mon cerveau profondément gravé,
M’a déjà trop prédit ce qui m’est arrivé.
L’existence, en effet, n’est qu’un pénible rêve :
Un pouvoir inconnu le commence et l’achève,
On veut le prolonger ; mais on ne songe pas
Que la plus longue vie aboutit au trépas.
Bien loin de murmurer de cette prévoyance,
Apprenons à mourir, car c’est notre science.
L’avenir incertain nous impose une loi,
C’est d’user du présent, d’en bien régler l’emploi.
Croyons dans chaque jour voir notre jour suprême :
L’heure qu’on n’attend plus, fait un plaisir extrême.
De cette vérité le sage convaincu,
Est celui qui peut dire : « Aujourd’hui, j’ai vécu. »
Je tiens d’Anacréon la leçon que je trace ;
C’est le refrain constant d’Épicure et d’Horace.
D’Horace, on sait par cœur les passages divers ;
A Posthume surtout, qui ne connaît ces vers ?
« Mon ami ! mon ami ! nos rapides années
S’envolent, rien ne peut changer nos destinées ;
Rien ne fléchit la mort. Il faut abandonner
Ta terre et la maison que tu pris soin d’orner,
Et la jeune beauté dont tu fis ta compagne.
De ces plans cultivés qui parent ta campagne
Hors l’odieux cyprès, nul autre arbre ne suit
Son maître passager dans l’éternelle nuit.
Tout renaît au printemps, s’écrie Horace encore,
De verdure et de fleurs la terre se décore ;
Les saisons, sur leurs pas reviennent tour à tour :
Nous seuls aux sombres bords descendons sans retour,
On ne repasse point les rives de Cocyte. »