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tés ; dans ses explications il passait en revue toutes les imitations plus ou moins éloignées qu’il avait rencontrées dans nos poètes français, dont il s’était enrichi la mémoire, la plus heureuse que j’aie jamais connue.

» Ceux qui ont entendu M. Delille, dans les séances académiques ou dans ses leçons au Collège de France, savent si jamais personne égala la grâce et la chaleur entraînante avec laquelle il récitait les vers. Que ceux qui l’ont entendu plus tard se le représentent à l’âge de vingt-quatre ans, ils pourront se faire une idée de ce que je devais éprouver dans ces explications auxquelles ne suffisait pas le temps ordinaire des classes, et qu’il avait l’excessive bonté de reprendre et de me continuer en particulier. Un demi-siècle d’intervalle n’a pu effacer ces impressions délicieuses auxquelles s’est joint un vif sentiment de reconnaissance, dès que j’ai pu faire la réflexion que c’était à un enfant de 13 ans qu’il prodiguait ces trésors d’érudition, d’enthousiasme et de talent poétique.

» Quand il me fut donné de venir à Paris et d’y entendre des professeurs justement célèbres, j’y cherchai vainement, je l’avoue, cette alliance si rare d’un grand talent avec la science et le goût. Elle ne s’y montra, du moins à ce degré, qu’au temps où M. Delille fut ramené sur un théâtre plus digne de lui. L’Université venait d’obtenir la fondation d’un corps d’agrégés destinés à remplacer les professeurs absens ou malades. Les titres que réunissait M. Delille le dispensaient de toutes les épreuves ; il n’eut qu’à se montrer pour être admis, et presque aussitôt il fut nommé à la chaire d’humanités du collège de la Marche.

» C’est là qu’il publia ses Géorgiques ; c’est là que plus d’une fois je l’ai vu, fatigué des succès qu’il commençait à obtenir dans les sociétés les plus brillantes, former le projet de renoncer au monde pour cultiver dans la retraite son talent poétique, et se laissant entraîner sans cesse à cette aimable facilité de caractère qui le rendait incapable de résister aux sollicitations et aux douces violences de ses nombreux amis.