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À MADAME DELILLE.


Ô toi, de tous les biens le plus cher à mon cœur,
Qui m’adoucis les maux, m’embellis le bonheur,
Dont la raison aimable et la sage folie,
Quand du crime légal les sanglans attentats
Jetaient autour de nous les ombres du trépas,
M’ont tant de fois, dans ma mélancolie,
Consolé de la mort et presque de la vie !
Reçois l’hommage de ces vers,
Douce distraction de mes chagrins amers.
À qui, de mon plus cher ouvrage,
Plus justement pourrais-je offrir l’hommage !
Le sujet t’avait plu, ma Muse l’embrassa,
Et cet ouvrage commença
Que cette époque m’intéresse ?
Le jour même où pour toi commença ma tendresse,
Ce jour, un seul regard suffit pour m’enflammer,
Car te montrer, c’est plaire, et te voir, c’est t’aimer.
Ô par combien de douces sympathies
Nos ames étaient assorties !
Pour le malheur même pitié,
Même chaleur dans l’amitié,
Même dédain pour la richesse,
La même horreur pour la bassesse,
Mêmes soins du présent, même oubli du passé,
Dont bientôt de notre mémoire
Tout, hormis tant d’amour, peut-être un peu de gloire,
Va pour jamais être effacé.
Dans les revers même constance,
Surtout la même insouciance
De l’impénétrable avenir
Que dis-je ? avec la mort et sa lugubre escorte,
De loin je crois le voir venir :
Déjà l’essaim des maux vient frapper à ma porte ;
Le temps, dont je ressens l’affront,
Déjà sur moi portant ses mains arides,
De ses ineffaçables rides
Laboure mon visage et sillonne mon front.
Qu’importe, si je puis, dans mon heureuse ivresse,
Reprendre quelquefois et ma lyre et mes chants ?
Mais je n’ai plus ces sons touchans
Qu’embellissait encor ta voix enchanteresse :
Jadis mes vers présomptueux