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de cette guerre, en 1385, il prend la tête de l’armée et fait le siège de Dam. En 1386, il manifeste ses premières velléités de gouverner par lui-même ; il décide, malgré ses oncles, l’expédition contre l’Angleterre ; il construit une flotte immense, s’embarque, obligeant ses oncles à le suivre, et n’est arrêté que par une tempête extraordinaire qui détruit la flotte. En 1392, pour venger l’assassinat de Clisson, il déclare la guerre au duc de Bretagne malgré la vive opposition de ses oncles ; il met sur pied une armée, une crise de folie coupe court à son élan. Tel est l’homme que l’auteur du Contr’un, à en croire M. Dezeimeris, aurait choisi comme le type d’un tyran, lâche, effeminé sans inclination pour l’action militaire ! L’auteur du portrait se serait proposé de flétrir un pauvre roi dément pour le punir de n’avoir pu, pendant les trente dernières années de sa vie, et par la faute seule de sa démence, reprendre la tête de son armée ! Est-ce une opinion soutenable ?

Pour la soutenir, M. Dezeimeris s’appuie sur le fait qu’à la bataille de Rosbécq, Charles VI, âgé de quatorze ans, fut mis par son Conseil à l’abri du danger, au milieu d’une bonne garde. Ce n’était pas ainsi, dit-il, que Philippe le Hardi s’était comporté au même âge à la bataille de Poitiers, à côté de son père, le roi Jean. Est-ce là un argument sérieux ? De ce que le roi Jean avait eu jadis la fantaisie de garder à ses côtés pendant le combat son plus jeune fils, qui s’y montra, dit-on, courageux, s’ensuivait-il que les hommes sages n’avaient pas raison de blâmer les oncles de Charles VI d’avoir conduit à la guerre de Flandre et sur le champ de bataille de Rosbecq, non pas un fils de roi, mais le roi lui-même, encore enfant ? S’ensuivait-il qu’une fois cette faute commise, ils n’avaient pas le strict devoir de le mettre à l’abri du danger ? Et de cette simple mesure de prudence[1], prise lorsqu’il avait quatorze ans, en faveur d’un roi qui, entre ses deux minorités, celle de l’âge

  1. Près de deux cents ans plus tard, Coligny, à la fin de la troisième guerre civile, fit venir à l’armée le jeune Henri de Navarre et le donna à garder au prince Ludovic de Nassau, qui le tenait un peu écarté de la colline avec quatre mille chevaux, ne permettant pas au prince, qui avait non pas quatorze ans comme Charles VI à Rosbecq, mais seize ans, de hasarder sa personne. M. Dezeimeris admettrait-il qu’on fit reproche à Henri IV d’avoir été mis, à cause de son jeune âge, à l’abri du danger, sous prétexte que Philippe le Hardi, à quinze ans, était à côté de son père ?