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I


J’ai soutenu que le Discours de la servitude volontaire, publié en 1574-70, est un pamphlet contre Henri de Valois, successivement duc d’Anjou, roi de Pologne et roi de France. Si cela est vrai, La Boëtie étant mort sept ans avant qu’Henri ne fût lieutenant général du royaume, dix ans avant qu’il ne fût roi de Pologne, onze ans avant qu’il ne fût roi de France, cette partie au moins du discours ne peut pas avoir été composée par lui. L’exercice de rhétorique qu’il a écrit à l’age de 16 ans a pu servir d’occasion, de cadre ; mais il a été profondément remanié et est devenu un manifeste politique, mis au point postérieuremont à la Saint-Barthélemy.

À l’appui de cette opinion, je crois avoir établi que le portrait du tyran tracé par l’auteur est le portrait d’Henri de Valois. Je l’ai reconnu à cinq traits caractéristiques : comme le tyran du Contr’un, Henri n’est ni un Hercule, ni un Samson, mais un « hommeau » ; — comme lui, il est « le plus femenin de la nation » : — comme lui, il n’a aucun goût pour les « joutes » et « tournois » ; —, comme lui, il n’a pu « s’accoutumer à la poudre des batailles » ; — comme lui, il est « tout empesché de servir vilement la moindre femmellette ».

M. Bonnefon veut que le Contr’un soit tout entier de La Boëtie. Il ne peut donc admettre que le portrait du tyran soit celui d’Henri de Valois. « Aucun fait, écrit-il, n’autorise d’assurer que le tyran visé par le Contr’un. est Henri III, plutôt qu’un autre prince de son temps ». Des trois premiers traits de la ressemblance ( « l’hommeau », « le plus femenin de la nation », « non accoustumé au sable des tournois » ), il ne dit rien. Pour le quatrième, («  non pas accoustumé à la poudre des batailles » ), il se borne à rappeler incidemment qu’Henri d’Anjou, dont la mollesse et la lâcheté dès sa rentrée en France en 1574 n’ont jamais été contestées, avait acquis, cinq ans avant, « une réputation de bravoure à Jarnac, à Montcontour, et aussi au siège de la Rochelle »[1]. Or, j’avais consacré trois pages à établir que cette vaillance n’était qu’une légende. J’avais signalé un fait que Tavannes, le vrai chef de l’armée, nous dévoile dans ses Mémoires : chaque matin « il rompait le rideau du duc d’Anjou, le fai-

  1. Au siège de La Rochelle, le duc d’Anjou se distingua précisément par son incapacité militaire ; Tavannes et Montluc lui reprochaient de négliger les opérations du siège pour se livrer à une vie molle et dissolue. En dehors des paroles de de Thou, et de celles de Simon du Bois, rappelées dans le texte, la conduite militaire du duc d’Anjou à la Rochelle suffirait pour justifier dans un pamphlet le trait : « non accoustumé à la poudre des batailles ».