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Considérant que chercher à ruiner la puissance de ces Florentins, et même à débarrasser la France et le monde de ces anarchistes couronnés, ne pouvait nuire à l’intérêt de l’ordre ;

Considérant que toujours, ainsi que l’a justement rappelé M. Bonnefon, l’absolutisme fut tempéré par l’assassinat, et que le tyrannicide, était, au seizième siècle, proclamé légitime par tous les partis ;

Considérant qu’il est un peu excessif de prétendre que celui qui veut tuer un tigre est un lâche s’il se cache et ne va pas droit à lui pour une lutte corps à corps ;

Considérant qu’au seizième siècle, ceux qui préconisaient le tyrannicide n’ont jamais pensé qu’ils fussent blâmables d’exposer les exécuteurs de leur pensée aux conséquences de leur acte, alors qu’ils se sauvegardaient eux-mêmes ;

Considérant que Montaigne, pour échapper au bourreau, s’est mis à couvert sous le nom d’un autre qui ne pouvait nullement en souffrir, puisqu’il était mort depuis longtemps ; que M. Bonnefon s’en étonne à tort et ne saurait le faire sans inconséquence, ni s’en indigner, lui qui a écrit que « Montaigne a servi, sous le couvert des autres, des opinions qui, sans cela, eussent fait scandale et eussent peut-être mérité le fagot[1] » ; ce qui n’a pas empêché M. Bonnefon de manifester sa sympathie et son admiration pour l’auteur des Essais ;

Considérant que La Boëtie est « l’inthime frère et l’inviolable ami de Montaigne » ; que celui-ci, comme Blossius à l’égard de Gracchus, « tenait la volonté de son ami dans sa manche, et par puissance et par connaissance » ; que « s’étant parfaitement commis l’un à l’autre, ils tenaient parfaitement les rênes de l’inclination l’un de l’autre » ; que Montaigne « n’était pas plus, en doute de la volonté d’un tel ami que de la sienne « ; que « les plaisirs même qui s’offraient à lui, au lieu de le consoler, redoublaient le regret de sa perte ; qu’ils étaient à moitié de tout », et qu’il lui semble qu’en tout ce qu’il sent, tout ce qu’il fait, tout ce qu’il reçoit, « il lui dérobe sa part »[2] ;

« Par ces motifs,

« Il est jugé que l’intervention de Montaigne dans la rédaction des interpolations ne saurait être écartée pour les raisons invoquées ; que, bien au contraire, s’il est l’auteur des interpolations ;

1° Montaigne est loué, non pas d’avoir été un l’auteur de discordes,

  1. P. Bonnefon, Montaigne et ses amis, I, 299.
  2. Toutes ces citations, sauf la première, qui est extraite du testament de La Boëtie, sont prises dans le chapitre de l’Amitié.