Page:Armaingaud - La Boétie, Montaigne et le Contr’un - Réponse à M. P. Bonnefon.djvu/10

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et peut-être même avec plus de précision. Pendant qu’il était duc d’Anjou et lieutenant général du Royaume, il passait une grande partie de ses journées dans l’intimité des filles d’honneur de Catherine de Médicis, véritables filles de joie, choyé par l’escadron volant dont cette reine profondément perverse avait grand soin de s’entourer, et qu’elle traînait partout avec elle dans ses déplacements, pour corrompre les jeunes princes, ses fils et ses neveux, les amollir et n’avoir plus à compter avec eux. Il aimait à les habiller, à les attifer, à leur rendre les services d’une femme de chambre. Dans une relation adressée à Philippe II en 1570, l’ambassadeur d’Espagne, Francès de Alava, le représentait déjà comme toujours entouré de femmes. « L’une lui regarde la main, l’autre lui tire les oreilles, et, de la sorte, se passe chaque jour une partie de ses heures[1] « . Ses agissements ridicules le jour de son mariage à Reims avec Louise de Vaudémont, en février 1575, ne furent que la continuation d’habitudes prises dès son adolescence[2].

Le portrait ressemble donc, par ce trait comme par les autres, et il reste très vraisemblable que c’est Henri de Valois que l’on a voulu représenter.

Je dis vraisemblable et non certain, parce qu’en histoire il n’y a guère que des demi-certitudes ; je n’oublie pas cet enseignement de notre maître : « On me fait haïr les choses vraisemblables quand on me les plante pour infaillibles[3]. » Ici, la vraisemblance se fortifie de l’invraisemblance des autres interprétations. À qui fera-t-on admettre cette conjecture : un jeune homme de 16 ans (ou de 23 ans, peu importe) s’avise de représenter le tyran idéal, et les traits qu’il lui donne, très différents de ceux du modèle classique, sont ceux d’un tyran effectif qui régnera vingt-huit ans plus tard, au moment même où le portrait sera publié ? N’est-il pas plus plausible de supposer une interpolation ?

Notez que l’écrivain aurait deviné, non seulement le caractère de son tyran, mais les circonstances typiques de sa vie et de sa politique. Il aurait deviné le règne des favoris, précédant celui des grands mignons de 1577-78. Il aurait deviné les moyens de gouvernement spéciaux à Henri d’Anjou, soit en Pologne, soit en France. Il aurait deviné les anecdotes et les faits divers scandaleux de la cour, que les protestants devaient, dix ans après sa mort, et antérieurement à la publication de son livre, signaler avec indignation dans leurs libelles. Vingt ans avant la Saint-Barthélémy, vingt-huit ans

  1. Histoire de France de Lavisse, t. VI (Henri III, par M. Mariéjols{{{2}}}, pp. 213-214.
  2. Revue politique et parlementaire, mars 1905 on 215-216.
  3. Essais, III, chap. 2.