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rappelais les paroles qui commencent cet émouvant récit. : « Après, tout ce dont j’ai été témoin aujourd’hui, la joie n’entrera pas de sitôt dans mon cœur. » Je me rappelais aussi les vers patriotiques qui finissent cet ouvrage et qui ont contribué à jeter dans l’esprit des Allemands cette haine du nom français dont nous avons, après soixante ans, pu voir les terribles effets. Nous aussi, je l’espère, nous saurons nous souvenir ; mes fils du moins le sauront.

À peine la voiture avait-elle disparu au tournant, de la route, que nous voyons revenir un de nos camarades, un caporal aux traits accentués, à la figure énergique. Je ne saurais rendre l’impression qu’il fit sur moi ; le malheureux avait eu, dans une reconnaissance, la poitrine traversée de part en part par une balle. Le sang ruisselait sur sa poitrine et sur son dos.

Malgré cette terrible blessure, il marchait ferme et droit, légèrement appuyé sur l’épaule de deux camarades. En passant près de mon ami et près de moi : « Attention, nous dit-il, les voilà. » Je le regardais passer avec respect, admirant en silence sa noble attitude, son patriotisme et son courage. C’était certes là un bel exemple pour des conscrits. Allons, pensai-je, tout n’est pas perdu. Il y a encore en France des hommes qui savent mourir debout.

Pour que la cavalerie ennemie ne puisse venir nous sabrer à l’improviste pendant que nous serons occupés avec l’infanterie, on traîne rapidement à chacune des deux extrémités du village une grande charrette remplie de fagots que l’on met en travers de la route et qui barre le passage ; puis, cela fait, nous descendons auprès de l’ église, du côté où les Prussiens arrivent.

À peine sommes-nous installés, non pas protégés,