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la nature sensible est dans un perpétuel mouvement, et qu’on ne peut juger de la vérité de ce qui change, ils pensèrent qu’on ne peut rien déterminer de vrai sur ce qui change sans cesse dans tous les sens. De ces considérations naquirent d’autres doctrines poussées plus loin encore. Telle est celle des philosophes qui se disent de l’école d’Héraclite ; telle est celle de Cratyle, qui allait jusqu’à penser qu’il ne faut rien dire. Il se contentait de remuer le doigt ; il faisait un crime à Héraclite d’avoir dit qu’on ne peut pas s’embarquer deux fois sur le même fleuve[1] : selon lui, on ne peut pas même le faire une seule fois[2].

Nous conviendrons avec les partisans de ce système, que l’objet qui change leur donne, alors qu’il change, une juste raison de ne pas croire à son existence. Encore peut-on discuter sur ce point. Ce qui cesse d’être une chose participe encore à ce qu’il cesse d’être, et nécessairement participe déjà à ce qu’il devient. En général, si un être périt, il y aura encore en lui de



    nes et de la personne de Xénophane. Asclép. Schol., p. 671. Cod. reg. Id. Ibid.

  1. À la seconde fois l’eau se sera écoulée, ce ne sera plus le même fleuve, les objets sensibles sont, comme le fleuve, dans un perpétuel écoulement ; il n’y a donc que la première impression qu’on puisse appeler vraie ; ce qui est vrai, c’est ce qui paraît.
  2. L’impression sensible dure ; et, quelque courte que puisse être sa durée, l’objet a changé pendant qu’elle durait. On ne peut donc pas même affirmer que ce qui paraît, paraît réellement, ou, comme le pense Héraclite, que ce qui paraît est vrai. La parole est toujours trompeuse, parce qu’elle vient après le changement : le geste seul, parce qu’il n’indique que l’état actuel, instantané, de l’objet qui tombe sous le sens, le geste seul désigne ce qui est.