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considère, comme la copie d’une chose, ce qui n’est pas du tout une copie.

§ 10. Du reste, l’exercice et l’étude conservent la mémoire en la forçant de se ressouvenir ; et cet exercice n’est pas autre chose que de considérer fréquemment la représentation de l’esprit, en tant qu’elle est une copie et non pas en elle-même.

§ 11 . Voilà donc ce qu’est la mémoire et ce que c’est que se souvenir. Répétons-le : c’est la présence dans l’esprit de l’image, comme copie de l’objet dont elle est l’image ; et la partie de l’âme à laquelle elle appartient en nous, c’est le principe même de la sensibilité, par lequel nous percevons la notion du temps.

- COMMENTAIRE DU CHAPITRE PREMIER -

• De la Mémoire et de la Réminiscence. Quelques manuscrits changent un peu ce titre : « De la Mémoire et du Souvenir. » Le titre que j’ai adopté est le plus habituel. L’autre serait justifié peut-être par le débat même de ce traité.

§ 1. Qu’est-ce que la mémoire ? La faculté par laquelle on se souvient des choses. — Qu’est-ce que c’est que se souvenir ? L’acte même de cette faculté ; voir plus haut la note sur la fin du traité précédent. — Et cette faculté. Le texte dit mot à mot : « Modification, passion. » — Et l’acte qui constitue le souvenir. J’ai dû paraphraser le texte pour faire sentir toute la force du mot qu’emploie Aristote. — En effet. Il y a ici une idée intermédiaire que supprime le texte : « Ces deux choses ne sont pas identiques : on peut distinguer entre la faculté et l’acte par lequel elle se manifeste. » En effet, etc. — Qui ont de la mémoire. C’est-à-dire dont le mémoire garde fidèlement les souvenirs qu’on lui confie — Et qui se ressouviennent par réminiscence. J’ai dû paraphraser le texte pour faire sentir la différence qu’Aristote établit entre une mémoire fidèle et une mémoire facile. — Qui ont le plus de mémoire. Qui retiennent les choses le plus fidèlement. — Avec le plus de facilité. J’ai dû continuer ici à paraphraser. — Les commentateurs rappellent avec raison que, dans le Traité de l’Âme, Aristote a établi que la dureté ou la mollesse des chairs, suivant les individus, influait sur l’intelligence ; Traité de l’Ame, II, IX , 9. La distinction que fait ici Aristote entre la mémoire fidèle et la mémoire facile, peut nous servir à comprendre celle qu’il faut faire entre la mémoire et la réminiscence. La mémoire est la faculté dont le souvenir est l’acte ; mais le souvenir peut être volontaire ou involontaire. Quand la volonté intervient dans le souvenir, c’est, à proprement parler, la réminiscence. La théorie spéciale en sera présentée au chapitre second : voir plus loin. — Descartes, sans avoir traité directement de la mémoire, a cependant indiqué quelques traits d’une théorie qui peut-être était toute faite dans son esprit, bien qu’il ne l’ait pas exposée. Il distingue, comme Aristote (voir plus bas, § 5 ), deux espèces de mémoire, l’une corporelle et l’autre intellectuelle, qu’il ne confond jamais. Voir les lettres, t. Vili, p.215, 239, 271, édit. de M. Cousin ; t. IX, p. 167, et t. X, p. 147, 137, 160. Il est bien à regretter que Descartes ne se soit pas étendu davantage sur ce sujet.

§ 2. Les objets auxquels s’applique la mémoire, ou peut-être plus brièvement : « Les objets de la mémoire. » Peut-être aussi faudrait-il plutôt le singulier à la place du pluriel ; mais j’ai dû suivre le texte. — Une science de l’espérance. C’est la traduction littérale des mots dont se sert Aristote. — La divination. Voir plus loin le petit traité spécial sur ce sujet. — On se dit dans l’âme. Voir la même pensée exactement dans Descartes, t. X, p. 157. C’est là aussi pour lui le caractère essentiel de la mémoire. Sur ce point il est tout péripatéticien, comme sur quelques autres encore.

§ 3. La conception intellectuelle. Je crois que c’est bien là tout le sens du mot dont se sert Aristote : quelques commentateurs ont cru qu’il signifiait « l’imagination » : voir le paragraphe suivant. — Espérance, et conjecture. — Par cette faculté même qui sert à percevoir, ou « sentir. » J’ai préféré le mot « percevoir », parce que la signification en est peut-être un peu plus large.

§ 4. Dans le Traité de l’Ame, liv. III, ch. III. — On ne peut penser sans images. Traité de l’Ame, III, III, 4, et III, VII, 3. — Le phénomène qui se passe. Michel d’Ephèse et, après lui, les autres commentateurs avertissent qu’Aristote fait ici une parenthèse qui s’étend jusqu’a la fin du paragraphe. Ils trouvent ce passage fort obscur : cette dernière critique n’est pas très juste, et ce qu’Aristote dit ici de l’entendement est fort clair, quand on se rappelle ce qu’il en a dit dans le Traité de l’Ame , III, V et suiv. — Qu’on démontre. J’ai ajouté ces mots pour compléter la pensée. — En le pensant par l’entendement. J’ai dû paraphraser le texte pour en rendre toute la portée. — Devant les yeux, par l’imagination. — Avec une dimension quelconque. L’exactitude de cette observation psychologique serait peut-être contestable. — Abstraction de cette grandeur. Voir Traité de l’Ame, III, IV, 8 ; voir aussi une pensée analogue dans les Derniers Analytiques, I, X, 10. — De la nature seule des quantités. J’ai ajouté le mot « seule, » pour faire mieux comprendre qu’il s’agit des quantités en tant que quantités, et non de leurs dimensions particulières. — Ailleurs, sans doute dans la Métaphysique ; car dans le Traité de l’Ame cette question est indiquée, mais non discutée, III , IV, 8. Il est possible aussi que ce texte signifie simplement : « C’est une autre question de savoir comment il se fait, etc. » II serait, du reste, difficile de dire dans quelle partie de la Métaphysique cette question aurait été traitée. — Affection du sens commun. Voir le Traité de l’Ame, III, Il, 10. — Par le principe même de la sensibilité, la connaissance de ces idées, des idées de grandeur, mouvement , temps ; voir le Traité de l’Ame, ll, VI, 3.

§ 5. La mémoire des choses intellectuelles. Aristote reconnait, comme Descartes, cette seconde espèce de mémoire ; mais la mémoire intellectuelle n’est pour lui qu’une mémoire indirecte ; en effet la mémoire s’applique aux objets sensibles dont les images sont les indispensables matériaux de l’entendement ; voir plus haut, § 1. — Indirectement, ou par accident. — Pensée par l’intelligence ou « intelligible, » ce qui se rapprocherait davantage du texte. — Qu’au principe sensible. L’opinion de Descartes est un peu plus large, bien qu’au fond elle puisse se confondre avec celle d’Aristote. — D’aucun être mortel. Aristote veut sans doute désigner par la, comme le remarque Leonicus, les brutes. L’homme est mortel, en effet, et cependant il a l’intelligence. Mortel veut peut-être dire ici un être chez qui tout meurt : l’âme de l’homme. au contraire, a une parcelle divine qui ne meurt pas ; voir le Traité de l’Ame, III, V, 2. — Maintenant. Dans l’état actuel des choses dans la nature telle que nous la connaissons. — Comme nous l’avons dit plus haut, § 2. — Sans cette faculté. Ce sont les choses intelligibles qui ne seraient point sans les images ; voir plus haut, § 4.

§ 6. La modification, ou l’impression : nous dirions aujourd’hui : « Le phénomène. » — De l’esprit. J’ai ajoute ces mots pour que la pensée fût claire. — Que l’impression, ou la modification ; mot à mot : « Passion. » — Et dans cette partie du corps qui perçoit la sensation, le sens commun, le principe sensible lui-même. — La perception. Le texte dit littéralement : « La possession. » — Par la violence de l’impression. Il faut entendre ceci dans le sens restreint que donne ma traduction et qu’exige le contexte, Mais un pourrait l’entendre aussi dans un sens plus large : « Ceux qui sont sous le coup d’une passion violente n’ont pas la mémoire ; » et ceci ne serait pas moins vrai. — Sont dans un grand mouvement. C’est la traduction littérale : il ne s’agit point évidemment ici du mouvement que le corps peut se donner en se déplaçant, il s’agit seulement du mouvement causé aux nerfs et a l’esprit par la force même de l’impression reçue, ou la simple ardeur de l’âge qui donne au sang plus d’activité. — Comme le plâtre. J’ai un peu paraphrasé le texte : l’image est peut-être un peu singulière, mais elle n’en est pas moins belle. — Ils coulent en effet. C’est la continuation de la métaphore de l’eau courante ; l’expression est hardie ; Aristote en a très rarement de pareilles. — Trop humides. Ceci peut se rapporter à ceux qui sont trop lents. — Ceux-là sont trop durs. Ceci se rapporte moins bien à ceux qui sont trop vifs.

§ 7. De cette impression de l’esprit. Même remarque qu’an paragraphe précédent. — Ou de l’objet même qui l’a produite. On suit combien la question est ingénieuse et délicate : bien éclaircie, elle expliquerait à fond ce merveilleux phénomène de la mémoire. Il n’y a pas de psychologiste moderne qui ait porté dans ces recherches plus de sagacité ni plus de science qu’Aristote. La psychologie écossaise n’a été ni plus fine ni plus exacte. — On contemple en soi. J’ai ajouté ces deux derniers mots pour rendre la pensée plus claire. — Ainsi l’animal peint sur le tableau. Comparaison ingénieuse et assez frappante. — La notion que l’âme contemple. J’ai paraphrasé le texte pour le rendre dans toute sa force. — Une représentation de l’esprit. Même remarque. Aristote emploie d’ailleurs ici le même mot qu’il vient d’employer. — Une image. L’expression dont se sert ici Aristote est toujours consacrée par lui aux images de l’esprit, aux images qui forment l’imagination. L’image n’est pas la même chose que la copie : ce dernier mot est réservé aux choses purement matérielles.

§ 8. Quand le mouvement de cet objet. Les commentateurs ont, en général, compris qu’il s’agissait ici de l’objet extérieur faisant impression sur la sensibilité. Je crois, au contraire, d’après le contexte, qu’il s’agit du phénomène seul de l’esprit. — Ainsi, c’est-à-dire dans ce qu’il est par lui-même, indépendamment de l’autre objet dont il est sa copie. — Quand elle considère l’objet. Michel d’Éphèse, et tous les commentateurs après lui, ont remarqué que ceci n’était guère qu’une répétition de ce qui précède.

§ 9. Quand des mouvements de ce genre, c’est-à-dire qui doivent former l’acte de la mémoire : il faut se rappeler que la sensation ne s’applique jamais qu’au présent, qu’à l’actuel, tandis que la mémoire s’applique au passé. On ne sait si la chose est présente, ou si elle l’a jadis été : si un la perçoit actuellement pour la première fois, ou si ou ne l’a pas déjà perçue. — De croire penser une chose, comme si elle se présentait à nous pour la première fois. — Croire.... en même temps. J’ai dû ajouter ces mots pour que la pensée fût claire et complète : peut-être n’aurait-il pas fallu dire seulement : « Et de nous souvenir ; » car alors nous avons bien réellement un souvenir. — Contemplant la chose même, qu’il pense et dont il ne se souvient pas. — L’image d’une autre chose. Le texte dit simplement : « Comme d’une autre. » Il semble que la suite de la pensée exigerait ici précisément la négation : il n’y a point de variante en ce sens, et je n’ai osé faire un changement aussi grave. On voit par le contexte que, dans cette première partie du paragraphe, il doit s’agir d’on souvenir qu’on prend pour une pensée nouvelle, puisque dans la seconde qu’Aristote prétend opposer, il s’agit au contraire d’une pensée nouvelle que l’on prend pour un souvenir. — Antiphéron d’Orée. Alexandre d’Aphrodise parle, d’après Aristote, de cet Antiphéron, dans son commentaire-sur le troisième livre de la Météorologie ; voir l’édition d’ldeler, t. II, p.121 . Il paraît qu’Antiphéron était sujet aussi à des hallucinations de la vue, qui tenaient à quelque infirmité de l’œil. — Qui ont eu des extases. Le mot d’extase est pris ici dans son sens propre, déplacement, bouleversement, changement d’état, et non dans le sens spécial où l’entend le mysticisme. — Considéré comme la copie. Ainsi, plus haut, l’esprit doit considérer une copie qui lui semble n’en être pas une.

§10. L’exercice et l’étude. Le texte n’a qu’un seul mot au pluriel ; on pourrait traduire aussi : « Les méditations, » comme l’ont fait plusieurs commentateurs. la suite explique, du reste, ce qu’Aristote entend par là.

§ 11. La présence dans l’esprit de l’image. Le texte dit seulement : « La possession de l’image. » — Le principe même de la sensibilité, le sens commun, qui nous donne la notion du temps ; voir le Traité de l’Ame , II, VI, 3. Le sens commun qui perçoit le mouvement perçoit aussi le temps que le mouvement mesure ; et l’organe du sens commun, dans les théories péripatéticiennes, c’est le coté, comme le remarque Léonicus. Le cœur est pour Aristote le principe de la vie.