Page:Aristote - Politique, Thurot, 1824.djvu/94

Cette page n’a pas encore été corrigée

car si chacun est incapable de se suffire à soimême dans l’état d’isolement, il sera, comme les autres parties, dans la dépendance du tout. Quant à celui qui ne peut rien mettre en commun dans la société, ou qui n’a besoin de rien, parce qu’il se suffit à lui-même, il ne saurait faire partie de la cité ; il faut que ce soit une bête, ou un dieu. Ainsi, il y a dans tous les hommes une tendance naturelle à une telle association : mais celui qui le premier parvint à l’établir, fut la cause des plus grands biens (1) ; car si l’homme, quand il a atteint son degré de perfection, est le plus excellent des animaux, il en est le pire quand il vit dans l’isolement, sans lois et sans code (2). Et certes l’injustice qui a les armes à la main, est ce qu’on peut imaginer de plus pervers. Or, les armes données à l’homme par la nature sont l’entendement et ses facultés, dont il peut faire usage dans les sens les plus opposés. C’est pour cela que sans la vertu il est la créature la plus perverse et la plus cruelle, la plus abandonnée aux plaisirs des sens et à tous leurs déréglements. Mais la justice est l’essence et le bien de la société civile ; et, en effet, le code des lois positives est l’ordre qui pré-

(1) Soit Saturne, comme le dit Virgile (AEn. VIII, vs. 319 sq. ), ou Orphée, suivant Horace (A. P. vs. 391 sq.) Voy. aussi ce que dit, à ce sujet, Cicéron [Somn. Scipion., c. 3).

(2) La même pensée se trouve dans Platon, au 7e livre des Lois, p. 808.