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de le poursuivre et de l’autre (Achille) leur faisant signe (de s’arrêter) ; mais, dans l’épopée, cet effet n’est pas sensible et la surprise cause du plaisir ; la preuve, c’est qu’en racontant on ajoute toujours, vu que c’est un moyen de plaire.

XI. Homère a aussi parfaitement enseigné aux autres poètes à dire, comme il faut, les choses fausses ; or le moyen, c’est le paralogisme. Les hommes croient, étant donné tel fait qui existe, tel autre existant, ou qui est arrivé, tel autre arrivant, que si le fait postérieur existe, le fait antérieur existe ou est arrivé aussi ; or cela est faux. C’est pourquoi, si le premier fait est faux, on ajoute nécessairement autre chose qui existe ou soit arrivé, ce premier fait existant ; car, par ce motif qu’elle sait être vraie cette autre chose existante, notre âme fait ce paralogisme que la première existe aussi. La scène du bain[1] en est un exemple.

XII. Il faut adopter les impossibilités vraisemblables, plutôt que les choses possibles qui seraient improbables, et ne pas constituer des fables composées de parties que la raison réprouve, et en somme n’admettre rien de déraisonnable, ou alors, que ce soit en dehors du tissu fabuleux. Ainsi Œdipe ne sait pas comment Laïus a péri ; mais la mort de Laïus n’est pas comprise dans le drame ; ainsi, dans Électre, ceux qui racontent les jeux pythiques[2] ou, dans les Mysiens, le personnage muet qui vient de Tégée en Mysie[3].

XIII. En conséquence, dire que la fable serait

  1. Homère, (Odyssée, XIX, 467.) Euryclée sait qu’Ulysse a été mordu à la jambe (fait passé) ; elle voit une cicatrice à la jambe de l’étranger, à qui elle lave les pieds (fait actuel). Elle en conclut, non faussement si l’on veut, mais gratuitement, que cet étranger doit être Ulysse.
  2. Sophocle (Électre, vers 683 et suiv.)
  3. Voir, sur les Mysiens, la note de Buhle.