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XIV. Il peut exister une troisième situation, c’est lorsque celui qui va faire une action irréparable, par ignorance, reconnaît ce qu’il en est avant de l’accomplir.

XV. Après cela, il n’y a plus de combinaison possible ; car, nécessairement, l’action a lieu ou n’a pas lieu, et le personnage agit avec ou sans connaissance.

XVI. Qu’un personnage au courant de la situation soit sur le point d’agir et n’agisse point, c’est tout ce qu’il y a de plus mauvais, car cette situation est horrible sans être tragique, attendu qu’elle manque de pathétique. Aussi personne ne met en œuvre une donnée semblable, sauf en des cas peu nombreux. Tel, par exemple, Hémon voulant tuer Créon[1], dans Antigone.

XVII. Vient en second lieu l’accomplissement de l’acte ; mais il est préférable qu’il soit accompli par un personnage non instruit de la situation et qui la reconnaisse après l’avoir fait ; car l’horrible ne s’y ajoute pas et la reconnaissance est de nature à frapper le spectateur.

XVIII. Le plus fort, c’est le dernier cas, j’entends celui, par exemple, où, dans Cresphonte, Mérope va pour tuer son fils et ne le tue pas, mais le reconnaît ; où, dans Iphigénie, la sœur, sur le point de frapper son frère, le reconnaît, et, dans Hellé, le fils au moment de livrer sa mère.

XIX. Voilà pourquoi les tragédies, comme on l’a dit depuis longtemps[2], prennent leurs sujets dans un petit nombre de familles. Les poètes, cherchant non pas dans l’art, mais dans les événements fortuits, ont trouvé dans les fables ce genre de sujet à traiter : ils

  1. Et se tuant lui-même.
  2. Aristote lui-même l’a dit (XIII, § 5).