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VII. Il faut, en outre, raconter les faits passés, à moins que des faits actuels n’excitent la pitié ou la terreur. L’apologue d’Alcinoüs en est un exemple lorsqu’il est retracé à Pénélope en soixante vers[1]. Citons encore Phayllus et son poème cyclique[2] ; ainsi le prologue qui se trouve dans l’Énée[3].

VIII. Les mœurs doivent jouer un rôle dans la narration. C’est ce qui aura lieu si nous voyons ce qui lui donne un caractère moral. D’abord, c’est de faire connaître son dessein : on reconnaîtra quel est le caractère moral en apercevant quel est le dessein ; et l’on reconnaîtra quel est le dessein d’après le but auquel tend l’orateur.

Ce qui fait que les discours mathématiques n’ont pas de caractère moral, c’est qu’ils ne comportent pas non plus une détermination. Car il n’y a rien en eux qui les motive. Mais les discours socratiques en ont, attendu, qu’ils traitent de questions qui portent ce caractère.

IX. Certaines considérations morales sont inhérentes à chaque trait de mœurs. Par exemple : « Il marchait tout en parlant ; » ce qui dénote de l’arrogance et de la rusticité. Il faut discourir non pas comme d’après sa pensée, ainsi que le font les orateurs d’aujourd’hui, mais comme d’après une détermination. « Quant à moi, telle était ma volonté, parce que telle était ma réso-

  1. Le récit fait par Ulysse devant Alcinoüs, dans lequel les faits sont reproduits comme actuels (πραττόμενα), occupe les chants IX à XII de l’Odyssée. Racontés devant Pénélope, comme passés (πεπραγμένα), ils n’occupent plus que 60 vers. On a proposé de lire 30 (chant XXIII, vers 310-340), ou 26 (262 — 288). L’apologue d’Alcinoüs était passé en proverbe, pour désigner un récit interminable. (Voir Spengel et Meredith Cope.)
  2. Phayllus, poète inconnu, qui paraît avoir résumé des récits étendus formant un poème cyclique.
  3. Le scoliaste donne le début de ce prologue qui ouvrait l’Énée d’Euripide.