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C’est comme cet individu à qui un boulanger demandait s’il devait pétrir une pâte dure ou molle : « Eh quoi ! répondit-il, n’est-il pas possible de faire bien ? » Il en est de même ici. Il ne faut pas être prolixe dans la narration, pas plus qu’il ne faut l’être dans l’exorde, ni dans l’exposé des preuves ; car, ici, la bonne proportion ne dépend pas de la rapidité ou de la brièveté, mais de la juste mesure : or celle-ci consiste à dire tout ce qui rendra évident le fait en question, ou tout ce qui aura pour résultat d’en faire admettre l’existence, ou le côté blâmable, le côté injuste, ou enfin d’y faire trouver les qualités que l’orateur veut qu’on y trouve, et d’obtenir l’effet contraire dans le cas opposé.

V. Il (te) faut intercaler, sous forme de narration, tout ce qui peut mettre en relief ton mérite. Exemple : « Quant à moi, je lui ai toujours donné des avertissements conformes à la justice en lui disant de ne pas abandonner ses enfants, » Pareillement, ce qui fait ressortir la perversité de l’adversaire : « Il a répondu à cela que, là où il serait, il aurait d’autres enfants. » Cette réponse est placée par Hérodote dans la bouche des Égyptiens quittant leur pays[1]. On introduira encore tout récit fait pour plaire aux juges.

VI. Dans la défense, la narration est moins importante. Le point discuté alors c’est : ou que le fait (mis en cause) n’existe pas, ou qu’il n’est pas nuisible, ou injuste, ou qu’il n’a pas la gravité qu’on lui prête. Aussi ne convient-il pas de disserter en vue d’établir un point reconnu, à moins que l’on n’ait pour but de montrer, par exemple, si l’acte en cause a été accompli, qu’il l’a été, mais sans causer de préjudice.

  1. Cp. Hérodote (II, 30), où les Égyptiens accentuent leur réponse d’un geste caractéristique. — Cette dernière phrase pourrait bien être une scolie introduite dans le texte.