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Même remarque sur ce vers célèbre d’Anaxandride :

Il est, certes, beau de mourir avant d’avoir été digne de la mort.

C’est la même chose que si l’on disait : « Il est beau de mourir, bien que l’on ne soit pas digne de la mort » ; ou : « Il est beau de mourir quand on n’est pas digne de la mort ; » ou « quand on ne fait pas des actions dignes de la mort[1] ».

IX. Ici, c’est la forme de l’expression qui est la même.

Plus l’expression est laconique, plus elle accentue l’antithèse, mieux elle vaut. La raison en est que l’antithèse la fait mieux comprendre, et que l’on comprend plus vite ce qui est exprimé brièvement.

X. Il faut toujours que l’expression se rapporte à la personne qui en est l’objet, qu’elle soit correctement appliquée si l’on veut frapper juste, et qu’elle ne soit pas vulgaire ; car ces conditions ne vont pas séparément. Exemple :

Il faut mourir sans avoir commis aucune faute.

Cet exemple n’a rien de piquant.

« Il faut qu’une femme digne épouse un homme qui soit digne. »

Celui-ci aussi manque de sel.

C’est autre chose si les deux termes marchent ensemble : « Il est certes digne de mourir sans être digne de mourir. » Plus il y a de mots (dans l’antithèse), plus la phrase a de relief. C’est ce qui arrive, par exemple, si les mots renferment une métaphore, et telle méta-

  1. Le mot ἄξιος est pris successivement dans les acceptions de digne (honorable) et de possible.