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IV. Il s’ensuit nécessairement que l’élocution et les enthymèmes sont élégants lorsqu’ils sont promptement compris. Voilà pourquoi l’un ne goûte ni les enthymèmes entachés de banalité (et nous appelons banal ce qui est évident pour tout le monde et ne demande aucun effort d’intelligence), — ni ceux dont l’énoncé ne fait pas comprendre la signification, mais bien plutôt ceux dont le sens est compris dès qu’on les articule, si même il ne l’était pas auparavant[1], ou ceux dont le sens ne tarde guère à être saisi. En effet, dans ce dernier cas, nous apprenons quelque chose, tandis que, dans les précédents, on n’obtient ni l’un ni l’autre résultat [2].

V. Ainsi donc, l’on goûte ceux des enthymèmes qui ont ce caractère, d’après le sens des paroles énoncées, et aussi d’après l’expression envisagée dans sa forme, si l’on parle par antithèse. Dans cette phrase : « Et jugeant que la paix commune aux autres était la guerre pour eux-mêmes en particulier[3]…, » on oppose la paix à la guerre.

VI. Ensuite d’après les mots, s’ils contiennent une métaphore, et alors il ne faut pas que celle-ci soit étrangère[4] car on aurait peine à la comprendre ; ni banale, car elle ne ferait aucune impression. Puis, si l’on place (les faits) sous les yeux (de l’auditeur), car on voit mieux, nécessairement, ce qui est en cours d’exécution que ce qui est à venir. Il faut donc se préoccuper de ce triple but : la métaphore, l’antithèse et l’exécution[5].

  1. Aristote, si nous l’avons bien compris, parle ici du cas où l’auditeur peut penser. « C’est aussi ce que je me disais. »
  2. À savoir, d’être compris d’emblée ou avec un léger effort.
  3. Isocrate, Discours à Philippe, § 73.
  4. C’est-à-dire choisie dans un ordre d’idées inconnues de l’auditeur.
  5. Ἐνέργεια. Cp. Cic., De Orat., II, 59.