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exemple : il y a des gens qui qualifient du nom de διονυσοκόλακες[1] ceux qui, entre eux, s’appellent des τεχνῖται (artistes) ; or ces termes sont tous deux des métaphores, appliquées l’une par des gens qui veulent avilir (la profession), l’autre par des gens qui veulent faire le contraire.

C’est encore dans le même esprit que les brigands se donnent entre eux, aujourd’hui, le nom de πορισταί (agents d’approvisionnement). De là vient que, de celui qui a causé un préjudice, on peut dire qu’il a fait erreur et, de celui qui a fait erreur, qu’il a causé un préjudice, ou de celui qui a fait disparaître, qu’il a pris ou qu’il a pillé[2]. Dans le vers du Télèphe d’Euripide[3] : « Commandant aux rames et ayant fait voile vers la Mysie, »il y a manque de convenance, parce que « commander » dit plus qu’il ne faut. Le poète n’a donc pas dissimulé le procédé.

XI. Il y a faute aussi dans les syllabes si elles ne représentent pas un son agréable ; comme, par exemple, lorsque Denys, l’homme d’airain[4], dans ses élégies nomme la poésie « le cri de Calliope » (au lieu de

  1. Flatteurs de Dionysos (Bacchus). Rapprocher τεχνῖται des διονυσιακοἱ τεχνῖται mentionnés par Philostrate, p. 360, édition Kayser, et par Aulu-Gelle, N. A. XX, 4. On a voulu voir, dans ce mot composé, une injure à l’adresse des flatteurs de Denys le Jeune, tyran de Syracuse. Le jeu de mots a été fait (Athénée, X, p. 435 E ; voir aussi XV, p. 538) et appliqué par Épicure aux disciples de Platon (Diog., liv. X, I, 4) ; mais le présent καλοῦσι donne à croire, selon nous, qu’Aristote parle exclusivement des artistes dionysiaques, ou acteurs du théâtre de Bacchus.
  2. Le mot prendre dit moins que voler et piller dit plus. Le premier terme sera une atténuation, et le second une aggravation.
  3. Tragédie perdue.
  4. Ὁ χαλκοῦς, orateur et poète, surnommé ainsi parce qu’il avait conseillé aux Athéniens l’établissement d’une monnaie d’airain (Athénée, Deipnosoph., liv. XV, p. 669).