Page:Aristote - Poétique et Rhétorique, trad. Ruelle.djvu/310

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

En effet, tel fait se produit contre la vraisemblance, si bien que, même ce qui est contre la vraisemblance est vraisemblable ; et si cela est, le non vraisemblable sera vraisemblable, non pas absolument. Mais de même que, lorsqu’il s’agit de controverses, c’est en n’ajoutant pas : « selon certaine éventualité, par rapport à certain fait, dans certaines conditions, » que l’on fait œuvre de calomniateur, dans le cas présent aussi, ce qui est contre la vraisemblance est vraisemblable non pas absolument, mais seulement à certains égards.

XI. C’est de ce lieu que se compose la Rhétorique de Corax[1]. Ainsi, qu’un individu ne prête pas à l’accusation portée contre lui, par exemple, en raison de sa faiblesse, il échappe à la condamnation pour voies de fait, car il n’y a pas vraisemblance (qu’il soit réellement coupable) ; mais qu’il prête à cette accusation, par exemple, en raison de sa vigueur, il s’en tire encore, attendu qu’il n’y a pas non plus vraisemblance, car il allait bien penser qu’il y aurait vraisemblance[2]. Il en est de même des autres cas. Il faut de deux choses l’une : ou qu’il y ait, ou qu’il n’y ait pas matière à poursuivre ; et les deux cas sont évidemment vraisemblables. Le premier est vraisemblable et le second ne l’est pas absolument parlant, mais de la manière que nous l’avons dit ; et c’est là le moyen d’assurer la supériorité à la cause la plus faible. C’est, par conséquent, à bon droit que l’on refusait d’admettre la prétention que Protagoras affichait[3]. C’était un

  1. Le premier, avec Tisias, qui ait écrit sur l’art oratoire.
  2. Et cette présomption a dû le retenir.
  3. Protagoras d’Abdère se faisait fort d’enseigner l’art de faire gager les mauvaise causes. Cp. Cicéron, Brutus, ch. VIII.